La politique budgétaire

Grâce à leur budget, les États sont en capacité d’influencer l’économie et de pallier les défaillances du marché. Directement inspirée des travaux de Keynes, la “politique budgétaire” est à l’origine de la croissance spectaculaire des Trente Glorieuses.

Keynes

Introduction
C’est à la suite de la crise de 1929 que l’État se découvre la capacité de contrebalancer les défaillances du marché. Lancée en 1933 par le président Roosevelt , la politique interventionniste du “New Deal ” vise à lutter contre les effets de la Grande Dépression . Des lois sont adoptées pour encadrer le fonctionnement du système bancaire, pour lutter contre le chômage et pour offrir une protection sociale à la population.
Parmi les mesures emblématiques du New Deal, citons notamment la création de la Tennessee Valley Authority (TVA), une entreprise chargée de conduire de grands travaux dans l’une des régions les plus pauvres du pays et qui assurera notamment l’édification du barrage Wheeler .

La politique du New Deal préfigure les travaux de John Maynard Keynes . En effet, c’est en 1936 que l’économiste britannique publie sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie , un ouvrage qui fonde la macroéconomie moderne et dessine les contours de ce que doit être l’”État providence “.
Keynes considère qu’en temps de crise, il appartient à l’État de stimuler la demande pour relancer l’économie. Ses idées s’opposent donc à celles du classique Jean-Baptiste Say , qui estimait, pour sa part, que “l’offre crée sa propre demande”.

En 1944, c’est Keynes qui défendra les intérêts du Royaume-Uni à Bretton Woods . Il échouera à imposer son idée d’une banque centrale mondiale et d’une monnaie supranationale (le bancor ), mais inspirera de nombreux gouvernants à travers le monde.

Deux organismes voient le jour lors de cette conférence, et sont toujours en activité :
– la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD ) aujourd’hui connue sous le nom de banque mondiale ;
– le Fonds monétaire international (FMI ). Il a pour but de surveiller les politiques nationales pour vérifier qu’elles ne dérapent pas et d’intervenir en cas de crise de change pour fournir de la liquidité au pays concerné moyennant la mise en place d’une politique de redressement. On pense que ces disciplines éviteront les dévaluations compétitives et autres pratiques malthusiennes  qui avaient eu des effets si néfastes dans les années 1930.


Les bianfaits du Keynésianisme
En France, notamment, l’État intervient pour redresser une économie ruinée par la guerre. Au cours des années 1945 et 1946, il nationalise des entreprises comme Renault , les Charbonnages de France , ainsi que des banques et des compagnies d’assurances. Le Parlement vote la loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, donnant ainsi naissance à EDF et GDF . Le Commissariat Général du Plan (CGP) est créé dans le but d’assurer la plannification économique.
A travers le premier plan, dit “plan Monnet “, l’État encourage les secteurs comme le charbon, l’acier, le ciment, le transport, l’électricité et les machines agricoles. En 1954, le deuxième plan (“plan Hirsch “) mettra l’accent sur la recherche et le développement, l’organisation des marchés agricoles, la productivité. En parallèle, l’État lancera les chantiers autoroutiers et le programme nucléaire civil .

Avec son budget, l’État s’efforce de relancer la croissance, de rebâtir une économie et d’améliorer le niveau de vie de la population. S’ouvre alors une période de près de 30 ans qui se caractérisera par une croissance insolente (plus de 5% par an et en moyenne).
Durant cette période, le multiplicateur keynésien tourne à plein régime.
Cette notion de “multiplicateur” est employée pour la première fois par Richard F. Kahn , disciple de Keynes à l’université de Cambridge, pour démontrer que des créations d’emplois dans un seul secteur de l’économie conduisent à des créations d’emplois dans les autres secteurs. Le mécanisme est le suivant : les “nouveaux salariés” perçoivent un salaire avec lequel ils consomment, ce qui encourage l’offre. Celle-ci doit alors s’ajuster, par une production et des embauches en hausse.

Une telle vision, dite “macro”, est nouvelle dans la pensée économique. En effet, les classiques considéraient qu’un système économique se résumait en quelque sorte à l’addition des actions individuelles, raison pour laquelle ils s’intéressaient au “comportement des agents“.
Pour Keynes, en revanche, le fonctionnement d’une économie possède sa vie propre. Il doit être appréhendé au moyen d’agrégats tels que la consommation, l’épargne, l’investissement, etc. Lorsque Keynes s’empare de la notion de “multiplicateur”, il démontre que l’augmentation des investissements de l’État entraîne une “variation amplifiée” du revenu national. Autrement dit, en période de crise, l’État a tout intérêt à dépenser pour enclencher une nouvelle phase de croissance.

Keynes est également en désaccord avec les classiques sur la monnaie. Ces derniers considéraient, en effet, la monnaie comme “neutre”, alors que pour Keynes, elle exerce une influence sur le niveau des prix et de la production.
De fait, en 1958, le franc est dévalué à deux reprises afin d’encourager le commerce extérieur. En diminuant la valeur de la monnaie, les marchandises nationales deviennent plus compétitives à l’international, donc les exportations augmentent. Réciproquement, les produits importés deviennent plus onéreux, donc moins compétitifs sur le marché intérieur, ce qui encourage la production domestique.
À l’initiative du général de Gaulle , ces dévaluations seront suivies de la création du “nouveau franc “, dit “franc lourd”, qui rétablira une quasi-parité entre la monnaie nationale, le mark allemand et le franc suisse et permettra à la France de faire jeu égal avec ses voisins.

La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes.John Maynard Keynes


Les limites de l’interventionnisme étatique
Cette période faste s’achèvera en 1973, avec le premier choc pétrolier . Celui-ci résulte, d’une part, de la décision de Nixon de mettre un terme à la convertibilité du dollar en or (une mesure entérinée à Bretton Woods) et, d’autre part, des sanctions prises par les pays arabes après l’intervention des États-Unis dans la guerre du Kippour .
En Occident, le prix du pétrole est rapidement multiplié par quatre. Le pétrole étant utilisé à la fois comme énergie et comme matière première pour les produits dérivés (plastique, polyester, industrie pharma, …), il est impossible d’endiguer la hausse des coûts de production.

Évolution des prix du pétrole et de la consommation (en millions de barrils / jour) avant et pendant les deux crises pétrolières de 1973 et 1979 (source )
Lien vers l’article qui détaille toutes les mécanismes et les conséquences des chocs pétroliers

Lorsque François Mitterrand arrive au pouvoir en 1981, la France est en situation de “stagflation ” : une situation qui mêle chômage, stagnation de l’activité et inflation . Les prix ont doublé depuis 1974.
Avec le “plan Mauroy “, le nouveau gouvernement tente une politique de relance : embauche de 55 000 fonctionnaires, augmentation du SMIC de 10%, hausse des “revenus de transfert” (les prestations sociales ). Au total, c’est l’équivalent de 1% du PIB qui est injecté pour stimuler la demande.
Mais les économies nationales sont devenues interdépendantes, notamment parce que les pays de sont mis à exporter davantage pour équilibrer la hausse des importations provoquée par l’augmentation du prix du pétrole. En conséquence, la consommation domestique ne profite plus exclusivement à l’économie nationale. Elle irrigue aussi celle des partanaires commerciaux. Keynes emploi le terme de “fuites” pour qualifier ce phénomène qui empêche le bon fonctionnement du multiplicateur.

La ligne d’après : “Il a fallu un certain temps avant que le gouvernement ne se rende compte que les effets dérivés n’amélioreraient nullement les finances publiques” (source )

En 1983, le “tournant de la rigueur ” marque la fin des politiques keynésiennes.
On augmente les impôts pour contracter la demande et ainsi maîtriser l’inflation. C’est également le début d’une vague de privatisations conduites principalement lors des périodes de cohabitation. Des entreprises comme Saint-Gobain , Paribas , Suez , Renault , Rhône-Poulenc , Elf Aquitaine , Total sortiront en totalité ou partie du giron de l’État.
Cette période se caractérise aussi par la dérégulation des marchés financiers, dans un contexte international de plus en plus libéral, dominé par les partisans du “laisser-faire” (Reagan aux États-Unis et Tatcher en Grande-Bretagne).
Est-ce à dire qu’à partir de ce moment, les finances de l’État sont vouées à s’améliorer? Non, car la dette souverraine ne cesse d’augmenter, notamment à partir des années 90. En 2005, le rapport Pébereau montre que l’endettement de la France a été multiplié par 5 depuis 1980. D’après l’auteur dudit rapport, cette hausse résulte davantage d’une mauvaise gestion que d’une volonté d’encourager l’économie.

Il faut savoir que pour Keynes, la dette n’est pas une mauvaise chose en soi. Au contraire, il la considère comme un outil de relance économique. En temps de crise, l’État emprunte pour financer ses investissements. Charge à lui de rembourser sa dette grâce aux rentrées fiscales obtenues lors des périodes de croissance.

La rigueur, c’est l’austérité plus l’espoirPierre Mauroy

Sur cette page du SPF BOSA
L’élaboration d’un budget doit respecter  7 principes.
Leur bonne application est contrôlée par différents organes de contrôle.  (source )
Mesures d’austérité ==> réduction du budget des services publics
On vous voit.

La question de la dette
Depuis 1980, la Belgique n’a connu que quelques périodes durant lesquelles la croissance a dépassé 3% (ligne rouge sur la figure ci-dessous).
Aujourd’hui, la dette française (ou belge) équivaut à près d’une année de PIB et à environ dix années de recettes de l’État.

Evolution de la croissance depuis 1960
source : initialement cette page (politique économique en Belgique (1960-2021))

Il existe des pays bien plus endettés que la France. La dette du Japon , par exemple, représente 2,5 fois le PIB du pays.
Toutefois, le budget français est en constant déficit depuis 1974, ce qui suppose de nouveaux emprunts chaque année et donc une augmentation de niveau d’endettement. Or, plus l’endettement est important, plus le “service de la dette” l’est également. En 2019, le seul remboursement des intérêts de la dette a représenté 11,4% du total des dépenses de l’État, soit trois fois plus que les dépenses d’investissement.

Selon le SPF, ~10 milliards sont alloués au remboursement de la dette…
…qui est sans doute reprise dans le secteur “Affaires économiques” avec la politique économique (7,6% + 3,3% ~ 11%) (source )

A quoi a servi la dette? Au cours des dernières décennies, elle a permis de maintenir le niveau des prestations sociales (qui ont augmenté du fait d’une croissance plutôt faible et d’un chômage en hausse) et de financer les allègements de cotisations au bénéfice des entreprises. Elle n’a pas été utilisée pour conduire de grands chantiers de relance, mais pour préserver le modèle social en dépit d’une conjoncture défavorable.
Cette dette est détenue par des investisseurs étrangers, mais aussi en grande partie par les Français (à travers les produits financiers de leur banque et de leur compagnie d’assurances).

source

Le SPF Economie indique :
Malgré la poursuite du retrait progressif des mesures de soutien temporaire instaurées lors de la crise du Covid et la baisse des dépenses temporaires liées à la crise énergétique et à la guerre en Ukraine, le déficit budgétaire de la Belgique s’est creusé de 0,8 point de pourcentage du PIB en 2023 en raison d’une augmentation des dépenses primaires, principalement au niveau des dépenses courantes. Parmi les facteurs ayant gonflé les dépenses courantes, la BNB mentionne :
– le relèvement des allocations minimales au fédéral et le renforcement de la politique sociale en Flandre ;
– les coûts du
vieillissement démographique ;
– l’indexation automatique des prestations sociales et des traitements du personnel de la fonction publique.
– D’autre part, les dépenses en capital (investissements publics) ont aussi crû, sous l’impulsion de projets d’infrastructure régionaux
.”

La politique économque en Belgique (1960-2021) par Van Gompel (KBC)

À l’époque où j’avais fait les copies d’écran, la page de Johan Van Gompel comportait ces infographies. Plus maintenant, et même avec Wayback machine.
On y voit l’influence de l’idéologie ultralibérale du WEF.

Dans “Traité d’économie hérétique. En finir avec le discours dominant  “, Thomas Porcher écrit à la page 19 :
Quand vous saurez que nous avons déjà connu une dette représentant 200% du PIB, que les taux d’intérêt ont déjà été plus élevés qu’aujourd’hui -et qu’à l’époque cela ne dérangeait pas les économistes libéraux puisque leur politique en était responsable-, que la dette du secteur privé, responsable de la crise de 2007, est supérieure à celle du secteur public, vous comprendrez que la dette publique n’est qu’un épouvantail qui sert, avant tout, à justifier des politiques d’austérité.

Largement retranscrit du hors-série de Science & savoirs “Les bases de l’économie”

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