Le comportement des agents

Pour les économistes, les êtres humains sont des “agents” capables, par leurs actions, d’influencer le marché. Voici, en quelques théories, ce qu’il faut retenir du “comportement des agents”.

Introduction
En 1905, le sociologue allemand Max Weber publie L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, un ouvrage dans lequel il développe la thèse suivante :
Si le capitalisme s’est imposé comme système économique dominant, c’est grâce aux valeurs de la religion protestante.

À l’instar du capitalisme, le protestantisme est apparu au 16ème siècle. En effet, c’est en 1517 que Martin Luther initie la Réforme afin de rompre avec certaines pratiques du catholicisme (notamment le commerce des indulgences ). Dans son sillage, Jean Calvin rompt, lui aussi avec l’Eglise. Le protestantisme devient alors une nouvelle branche du christianisme. Cette jeune religion se dote de plusieurs valeurs telles que le sens du devoir, l’acceptation de son destin et l’ascétisme .

Dans sa vie quotidienne, le protestant se consacre essentiellement au travail. Son labeur constitue une fin en soi, en aucun cas un moyen de gagner de l’argent. Et si d’aventure, il venait à s’enrichir, il doit s’interdire tout comportement hédoniste. Ainsi, les protestants travaillent, créent de la richesse et cete richesse s’accumule, puisqu’ils ne peuvent la dépenser.

Max Weber est sans doute l’un des premiers à s’être interessé aux liens qu’entretiennent phénomènes collectifs et comportements individuels. En parallèle de ces travaux, les économistes classiques donnent naissance au concept d’”être rationnel ” : un individu motivé par la recherche de sa propre satisfaction, qui agit pour servir ses intérêts.

Courant classsique : individualisme
L’être rationnel ou homo oeconomicus

On attribue le terme d’homo oeconomicus à John Stuart Mill , philosophe et économiste classique du 19ème siècle. L’homo oeconomicus est un être rationnel, autrement dit un individu doué de raison, qui formule ses choix de manière cohérente et qui cherche à retirer de ses actions la plus grande satisfaction possible (on dit qu’il est “maximisateur”).
Ces caractéristiques ne s’appliquent pas uniquement à l’argent ou au gain financier. L’homo oeconomicuspeut se montrer altruiste, à condition qu’il y trouve un intérêt ou une motivation. Par exemple, il pourra faire du bénévolat ou donner à des oeuvres de charité s’il obtient par ces actions une gratification narcissique ou un sentiment d’utilité. De manière générale, l’homoe oeconomicus cherche à optimiser sa satisfaction en fonction des ressources dont il dispose. Par essence, l’entrepreneur est un homo oeconomicus.

Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt.Adam Smith

Cette vision de l’agent économique en tant qu’”être rationnel” sert notamment de postulat à la théorie du capital humain pour laquelle l’économiste américain Gary Becker obtient le prix Nobel en 1992.
Cette théorie, qui cherche à expliquer de nombreux phénomènes sociaux en s’appuyant sur la rationalisté des agents, s’intéresse tout particulièrement à l’éducation. Un individu choisira de suivre des études parce que celles-ci lui permettront d’accéder à une carrière mieux rémunérée, mais il pourra aussi bien s’en détourner en raison des frais et des “coûts d’opportunité” qu’elles impliquent.

Le comportement des agents constitue également un sujet d’étude pour les sociologuqes. En France, Raymond Boudon est le promoteur de l’”individualisme méthodologique “. Selon cette doctrine, les individus sont des acteurs intentionnels dotés d’un ensemble de préférences. Plus ou moins conscients de leurs limites, ils agissent dans le but d’obtenir certaines fins. Ce sont ces comportements individuels qui, une fois agrégés, produisent les phénomènes collectifs.
Mais à l’inverse des économistes classiques, qui considèrent que la poursuite des intérêts individuels concourt obligatoirement à l’intérêt général, le sociologue évoque des “effets pervers”. Autrement dit, les résultats des comportements individuels ne seraient pas toujours bénéfiques à la communauté. (exempel : panique boursière)
Ces “effets pervers” résultent notamment de la “rationnalité limitée” des agents. On doit la paternité de ce concept à Herbert Simon , économiste et sociologue américain. Celui-ci considère que les agents ne peuvent pas agir de façon totalement rationnelle, pour deux raisons :
L’imperfection de l’information : les individus ne peuvent pas connaître tous les choix qui s’offrent à eux ni leurs conséquences.
Capacités de calcul du cerveau humain : un être humain n’est pas capable de traiter convenablement l’information ni d’opérer des calculs qui aboutiront à la décision la plus satisfaisante.
En conséquence, si l’homoe oeconomicus est motivé par la réalisation de ses itnérêts et la maximisation de sa satisfaction, sa quête demeure malgré tout entravée par l’incomplétude de sa rationalité.

Courant “holiste” : déterminants sociaux
Certains économistes et sociologues réfutent totalement le concept d’”être rationnel”. De manière générale, les opposants osnt issus de la pensée keynésienne et marxiste (économie), ou du strcturalisme (sociologie). Pour ces intellectuels, ce ne sont pas les actions individuelles qui produisent les phénomènes collectifs, mais les phénomènes collectifs qui influencent les actions individuelles.

À l’opposé de l’individualisme méthodologique cher à Boudon, le courant holiste considère que les individus ne sont pas totalement autonomes. Ils subissent ce que l’on appelle les “effets du système”.
L’un des principaux représentants de l’approche holiste est le sociologue Émile Durkheim , que l’on connaît notamment pour ses travaux sur le suicide. Avec cette étude, Durkheim démontre le rôle primmordial de l’intégration et du sentiment d’appartenance sur les comportements individuels. En d’autres termes, la société et les structures sociales influencent les décisions des individus, y compris les plus radicales.

Le sociologue français Pierre Bourdieu va plus loin en élaborant la notion d’”habitus “, qu’il définit comme “ce que l’on a acquis et qui s’est incarné de façon durable dans le corps, sous forme de dispositions permanentes”.
L’habitus, c’est le résultat de la socioalisation. En fonction de leur éducation, de leur milieu d’origine et de leurs expériences, les individus adopteront des comportements différents. C’est pour cette raison, par exemple, que les enfants d’ouvriers sont proportionellement moins nombreux que les enfants de cadres à intégrer les grandes écoles.

Les thèses de Bourdieu rejoignent l’intuition originelle de Marx . En 1859, le penseur allemand écrivait :
Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, c’est inversément leur être social qui détermine leur conscience.
Marx considère que les rapports sociaux de production sont à ll’origine de la division de la société en “classes “. Il oppose ainsi “le capital”, détenu par la bourgeoisie , au “travail”, qui est l’apanage du prolétariat . Cette situation préside, d’une part, à la formation d’une “conscience de classe”. De cette conscience de classe, découlent des comportements spécifiques, comme la grève ou l’évasion fiscale.

Pour l’ensemble de ces intellectuels, il va donc de soi que les décisions et comportements individuels sont au moins en partie dictés par la façon dont les individus sont intégrés à la structure sociale, par les groupes auxquels ils appartiennent, etc.

Point de vue de la psychologie : théorie des perspectives
En 1979, les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky s’associent pour élaborer la “théorie des perspectives “.
Selon cette théorie, l’être humain serait bien plus assujetti à ses émotions qu’on ne le pense. Les deux chercheurs démontrent notamment que la perte et le gain d’argent induisent des impacts psychologiques différents : nous serions plus sensibles à la première qu’au second. Si l’on en croit leurs expérimentations, le gain doit être 2,5 fois plus élevé que la perte pour que nous puissions nous consoler de cette dernière.

Par ailleurs, la théorie des perspectives avance le fait que les individus sont extrêmement sensibles à la façon dont leur sont présentées les différentes alternatives à leur disposition. Pour caricaturer, disons que le verre à moitié plein nous semble plus rempli que le verre à moitié vide et que le kilogramme de plomb nous paraît plus lourd que le kilogramme de plumes.

Appliquées aux marchés financiers et aux métiers du trading, cette théorie permet d’expliquer les prises de risques, la formation de bulles spéculatives, etc. Elle remet donc sérieusement en cause le modèle de l’homo oeconomicus et plus encore celui de la “main invisible ” qui prête aux démarches individuelles la capacité de satisfaire l’intérêt général.

Largement retranscrit du hors-série de Science & savoirs “Les bases de l’économie”


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