Partage des richesses et inégalités
Le partage des richesses et la réduction des inégalités sont des sujets de plus en plus prégnants dans l’actualité. Sur le plan politique, la montée des populismes en Europe et aux États-Unis serait directement liée au sentiment de “déclassement” des classes moyennes.

Introduction
En France, la réforme de l’ISF ⭎ (impôt de solidarité sur la fortune, une “exception française”) a fait grand bruit et le mouvement des “gilets jaunes” ⭎ a mis en exergue un véritable malaise au sein de la classe moyenne. En Belgique, en Italie et dans plusieurs autres pays d’Europe, des responsables politiques considérés comme “populistes ⭎” (ou post-populistes ⭎) ont accédé au pouvoir. Ce phénomène serait dû au fait que le mouvement de mondialisation de ces dernières décennies a produit des “laissés-pour-compte”, à commencer par les classes moyennes des pays développés. Un fait avéré, si l’on en croit les travaux de Branko Milanovic ⭎, économiste spécialisé dans les inégalités mondiales.
Pour étudier la façon dont se répartissent les richesses, on prend en compte la “valeur ajoutée ⭎“.
Cette “valeur ajoutée” permet de rémunérer à la fois les travailleurs et les détenteurs de capitaux. Si la façon dont est opérée cette répartition est génératrice d’inégalités, l’État peut intervenir grâce à l’impôt. En effet, la fiscalité constitue un puissant instrument de réduction des inégalités de départ. Encore faut-il que celle-ci soit appliquée de façon adéquate. Or, si en France, l’impôt sur le revenu est progressif, il n’en va pas de même pour les cotisations sociales (qui sont en partie plafonnées) ou les taxes sur les transactions marchandes (dont le taux est le même pour tous les citoyens, quels que soient leurs revenus). Ce qui fait dire à certains économistes que l’impôt, en son état actuel, est “injuste”.
La répartition de la valeur ajoutée
On parle de “valeur ajoutée ⭎” pour désigner la richesse créée par une entreprise ou plus largement par une activité économique quelconque, au cours d’une période donnée.
La valeur ajoutée (VA) est un des soldes intermédiaires de gestion ⭎ qui correspond à la différence entre la valeur de la production finale (le chiffre d’affaires ⭎, CA) et de la consommation intermédiaire ⭎ (les produits nécéssaires à la production, c’est-à-dire la valeur des achats faits pour exercer l’activité : marchandises, matières premières, services, etc., CI). Elle se répartit entre la masse salariale (MS), d’une part, et l’excédent brut d’exploitation (EBE), d’autre part :
VA = CA – CI = MS + EBE
La masse salariale ⭎ rassemble les salaires nets et les cotisations sociales ⭎.
L’excédent brut d’exploitation ⭎ sert à financer les dividendes ⭎, les intérêts des emprunts, les impôts. Il permet également d’épargner.
Il y a donc un premier levier pour diminuer les inégalités : jouer sur le rapport MS/EBE.
Certains chiffres laissent entendre qu’il existerait un déséquilibre croissant entre les revenus tirés du travail et ceux issus du capital. D’après l’ONG Oxfam, 82% des richesses mondiales créées en 2017 auraient été captées par 1% de la population seulement et le patrimoine des milliardaires aurait progressé de 13% par an depuis 2010.

“Ces revenus sont certes variables, mais en hausse continuelle depuis quelques années. Et surtout, ils correspondent à des sommes bien concrètes et constantes qui sont autant d’argent en moins sur les fiches de paie des salariés de ces entreprises.” (article Mr Mondialisation ⭎)
De tels chiffres donnent raison à Marx ⭎, en particulier à sa notion d’”accumulation du capital ⭎“, selon laquelle la plus-value ⭎ créée par les travailleurs est essentiellement collectée par les détenteurs de capitaux. En effet, dans la vision marxiste, les travailleurs sont contraints de vendre leur force de travail pour vivre, avant d’être dépossédés de la “plus-value” générée. C’est l’”aliénation ⭎“.
“Le capital est du travail mort qui, semblable au vampire, ne s’anime qu’en suçant le travail vivant” Karl Marx
En France, c’est autant la rémunération des patrons des entreprises du CAC40 ⭎ que les dividendes versés à leurs actionnaires qui fait débat. Avec 51 milliards de dollars distribués en 2019, la France est même le pays d’Europe qui rémunère le mieux les investisseurs. Mais les inégalités ne se situent pas forcément là on l’on pourrait être tenté de les voir.
En réalité, la répartition de la valeur ajoutée entre le travail et le capital est restée à peu près la même depuis la Seconde Guerre mondiale.
Au niveau mondial, on constate toutefois une augmentation de la taxe sur le travail depuis la fin des Trente Glorieuses ⭎, quand en parallèle la taxe sur le capital est en légère décroissance :


En revanche, l’écart s’est considérablement creusé entre hauts et bas salaires et le système de “déciles ⭎” employé par l’INSEE ⭎ tend à éclipser ce phénomène. En effet, selon ce système, il n’existerait qu’un écart de 1 à 3 entres les 10% des salariés les plus “pauvres” et les 10% des salariés les plus “riches”. Toutefois, le dernier décile (les 10% les plus “riches”) renferme un club très fermé, où les salaires peuvent atteindre 60 fois la rémunération moyenne. Ce sont précisément ces salaires qui ont connu une explosion en l’espace de vingt ans.
Statbel ⭎ utilise également un subterfuge pour “cacher” ces écarts astronomiques: Statbel rassemble dans la catégorie “>6000€” les 10% les plus “riches” de la population. Mais c’est une baleine fractale, comme en France. Pour rappel, les revenus sont corrélés à la responsabilité climatique individuelle (le poids carbone).

En bas : corrélation “à la louche” avec les catégories de poids carbone
Il faut donc se méfier de l’apparente stabilité du rapport travail/capital, d’autant que les cotisations sociales (qui entrent dans le calcul de la masse salariale) ont davantage augmenté que les salaires nets (en France au moins). Autrement dit, quand les revenus du travail semblent suivre les revenus du capital, c’est aussi parce que l’État prélève davantage de cotisations.
Les mécanismes de redistribution
À l’origine du mécanisme de redistribution ⭎, se trouve l’impôt ⭎ qui, une fois prélevé, est redistribué sous la forme de “revenus de transfert ⭎“. Ces derniers rassemblent les prestations familiales, les pensions de retraite, les indeminités chômage, les remboursements de frais de santé, les aides sociales. (dépenses budgétaires)
Les impôts, eux, peuvent être répartis en deux catégories (rentrées budgétaires : recettes fiscales)
🟦⬜🟥 En France:
– Les impôts directs ⭎, qui rassemblent l’impôt sur le revenu ⭎, la contribution sociale généralisée ⭎ (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale ⭎ (CRDS), la taxe d’habitation ⭎ et la taxe foncière ⭎. Les cotisations sociales peuvent également être considérées comme un impôt direct, car elles sont prélevées sur les revenus bruts des ménages.
– Les impôts indirects ⭎, qui s’appliquent aux transactions et qui regroupent la TVA ⭎, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE ⭎, ex-TIPP), les droits d’accise ⭎ sur l’alcool ou le tabac.
Une étude de 2017 a montré que la France est le pays de l’OCDE où la pression fiscale est la plus forte, devant le Danemark. En effet, les recettes fiscales de l’État atteignent plus de 46% du PIB, quand cette proportion est d’en moyenne 34% au sein de l’OCDE. La France se distingue surtout par le poids important des cotisations sociales et des impôts sur le patrimoine, qui représentent respectivement 16,8% et 4,4% du PIB, quand la moyenne de l’OCDE se situe à 9,3% et 1,9%.
⬛🟨🟥 Qu’en est-il en Belgique?
– Les impôts directs : Il s’agit principalement des impôts sur les revenus: l’impôt des personnes physiques (I.P.P.) (et les cotisations sociales), l’impôt des sociétés (I.Soc), l’impôt des personnes morales (I.P.M.) et l’impôt des non-résidents (I.N.R.).
– Les impôts indirects : Il s’agit notamment des droits d’enregistrement ⭎, des droits de succession ⭎ et de la TVA.
Le taux normal de TVA est de 21%. Il existe un taux 0% et deux taux réduits de 6 et 12%.
La Belgique connaissait initialement un système fiscal cédulaire ⭎ : chaque catégorie de revenus était imposée distinctement. Il existait ainsi trois impôts cédulaires :
– la contribution foncière pour les revenus immobiliers,
– la taxe mobilière pour les revenus de capitaux,
– la taxe professionnelle pour les revenus du travail.
En 1962, la Belgique a abandonné le système cédulaire et a adopté un régime de globalisation des revenus. Dans ce régime, un seul impôt frappe l’ensemble des revenus du contribuable.
Vers un retour vers un système cédulaire ? ⭎
L’impôt des personnes physiques est progressif jusqu’à la 5ème tranche de revenus:

Les taux fixes de 15 à 33 % sont applicables à certains revenus mobiliers et revenus divers taxés distinctement.
À cet impôt des personnes physiques sur le revenu, s’ajoute la cotisation à la sécurité sociale (ONSS ⭎) de 13,07%, prélevée sur le salaire brut.
Les recettes de l’État fédéral avoisinnent 160 milliards d’euros:

2024, Cour des Comptes (lien ⭎)
Pour un PIB qui avoisinne ~600-650 milliards d’euros.
Les recettes fiscales de l’Etat sont plus plus proches de 25% du PIB (là où celles de la France sont de 46%).
L’impôt sur les personnes physiue représente 57% des recettes fiscales fédérales, et la TVA 40%:


Certains économistes (Camille Landais ⭎, Thomas Piketty ⭎, Emmanuel Saez ⭎) se sont attachés à étudier la fiscalité dans son ensemble et on aboutit au constat suivant :
Si l’on tient compte de la totalité des prélèvements (directs et indirects), la fiscalité française serait “régressive” et favoriserait donc les plus fortunés. En effet, si l’impôt sur le revenu est “progressif”, il ne représente qu’une faible partie des recettes fiscales de l’État. En revanche, les impôts indirects (TVA, TICPE, droits d’accise), qui sont les mêmes pour tous, ont tendance à privilégier les plus riches. Ce phénomène s’explique par la “loi psychologique fondamental ⭎e” de Keynes ⭎, qui démontre que plus le revenu augmente, plus la propension moyenne à consommer diminue. En d’autres termes, ce n’est pas parce que l’on gagne plus d’argent que l’on va augmenter d’autant sa consommation, donc sa contribution aux impôts indirects. Au contraire, les ménages les plus riches disposent d’une capacité d’épargne que n’ont pas les ménages les plus pauvres.
Par ailleurs, si les cotisations sociales sont proportionnelles au salaire brut, elles deviennent plafonnées à partir d’un certain revenu. Selon les travaux des économistes cités plus haut, le système fiscal français serait donc légèrement progressif pour 95% de la population, mais avantagerait les 5% les plus riches, qui paieraient proportionellement moins d’impôts que leurs concitoyens.
C’est le cas également en Belgique:
– Il n’y a pas d’impôt sur la fortune à proprement parler
– L’IPP, qui représente 57% des recettes fiscales de l’État, est plafonné
– La TVA représente presque la moitié (~40%) des recettes fiscales!
“L’impôt n’est pas une question technique, il se trouve au coeur du lien social” Thomas Piketty
Un monde plus inégal?
Lorsqu’on s’intéresse aux inégalités mondiales, il est difficile d’éclipser les récents travaux de Branko Milanovic ⭎. Cet économiste serbo-américain est notamment connu pour sa “courbe de l’éléphant”, qui s’intéresse à l’évolution du pouvoir d’achat de la population mondiale entre 1988 et 2008, période durant laquelle la globalisation des échanges s’est fortement accrue:

On peut en retirer quatre enseignements:
– Les très pauvres n’ont pas bénéficié de la mondialisation, puisque la progressions de leur pouvoir d’achat demeure inférieure à la progression moyenne.
– Les classes moyennes des économies émergentes (la Chine, certains pays d’Asie…) ont vu leurs revenus augmenter fortement.
– Les 1% les plus riches se sont considérablement enrichis.
– Les classes moyennes occidentales, elles, n’ont pas bénéficié de la mondialisation.

François Bourguignon ⭎, économiste français, s’est lui aussi intéressé à la question des inégalités mondiales. Ses travaux confirment que la mondialisation a permis de renverser la hausse des inégalités entre les pays. En effet, la croissance économique enregistrée par les États comme la Chine, l’Inde, l’Indonésie ou le Brésil a permis de réduire l’écart entre pays développés et pays émergents.
Toutefois, ce chercheur montre aussi qu’en parallèle, les inégalités à l’intérieur des pays (qu’ils soient développés ou émergents) ont tendance à se creuser. C’est sans doute cet accroissement des inégalités au sein même de ces pays qui est à l’origine de la montée des populismes dans les sociétés occidentales.



“Tout progrès de l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès dans l’art de piller le travailleur, mais aussi dans l’art de piller le sol; tout progrès dans l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité. Plus un pays, comme par exemple les États-Unis d’Amérique, part de la grande industrie comme arrière-plan de son développement et plus ce processus de destruction est rapide.” (Karl Marx, Le Capital : Livre 1 (1867))
Largement retranscrit du hors-série de Science & savoirs “Les bases de l’économie”
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