Commerce international et mondialisation

Ces dernières décennies, les échanges internationaux se sont fortement accrus et ont fait du monde “un village”. Il y a deux siècles, les économistes s’intéressaient déjà aux rouages du commerce international. Voici comment la pensée a évolué depuis.

Glaces de Norvège débarquées à Paris, 1877

Introduction
À quand remontent les premiers échanges internationaux? Probablement aux premiers déplacements de population, bien avant que les nations du Vieux Continent réalisent leurs vélléités de conquête et d’exploration grâce à la navigation. Toutefois, c’est surtout ces dernirèes décennies que le commerce international a pris une ampleur considérable. Entre 1995 et 2015, les exportations de marchandises ont presque quadruplé. Cette croissance éclair, que nous appelons “mondialisation “, a notamment contribué à faire de la Chine une grande puissance mondiale.

balance commerciale UE-Chine (ici en 2013)

En 1848, Marx et Engels prédisaient déjà cette situation :
À la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent de novueaux besoins, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées les plus lointaines et des climats les plus divers.
Pour les deux penseurs, l’ouverture des marchés constitue un instrument de domination supplémentaire au service de la bourgeoisie -c’est-à-dire des détenteurs de capitaux.

Les économistes classiques, eux, considèrent que les nations ont intérêt à échanger si elles veulent prospérer. Pour tirer parti du commerce international, elles doivent se spécialiser dans la production des biens pour lesquels elles détiennent un “avantage”.

Toutefois, au milieu du 20ème siècle, cette théorie est remise en cause. Se dessine alors une “nouvelle théorie du commerce international” qui cherche à expliquer de façon plus précise les échanges entre pays.

La vision classique des échanges internationaux
Avec la parution en 1776 de Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Adam Smith est le premier à élaborer une théorie des échanges internationaux.
Selon le père de l’économie moderne, le commercie international s’explique par la notion d’”avantage absolu ” : un pays a intérêt à se spécialiser dans les activités dont les coûts de production sont inférieurs à ceux des autres pays. Si chaque nation procède ainsi, l’ensemble des pays bénéficie de marhandises au tarif le plus avantageux et les nations prospèrent.
Toutefois, cette théorie soulève immédiatement l’observatio suivante : qu’advient-il des pays qui sont incapables d’obtenir les coûts de production les plus faibles pour au moins un type de produit?

C’est David Ricardo , l’héritier d’Adam Smith, qui cherche à résoudre cette question. En 1817, il propose la théorie dite des “avantages comparatifs” qui nuance celle de son prédécesseur. Cette théorie stipule qu’il n’est pas nécessaire, pour une nation, d’être la “première” dans sa catégorie de produits. Les pays doivent simplement se spécialiser dans les activités pour lesquelles ils détiennent un “l’avantage le plus grand” ou “le désavantage le plus faible”.

Pour illustrer cette idée, Ricardo cite l’exemple du Portugal et de l’Angleterre, deux nations qui produisent à la fois du drap et du vin. Ricardo constate que pour ces deux marchandises, le Portugal détient les coûts de production les plus faibles. Cependant, c’est dans la production de vin que le Portugal creuse véritablement l’écart avec l’Angleterre. Pour Ricardo, le Portugal doit donc se spécialiser dans le vin et importer du drap d’Albion.
En effet, les facteurs de production (capital et travail) du Portugal seront plus rentables s’ils sont entièrement dévolus à la production de vin. Le drap sera donc importé d’Angleterre, plus cher que s’il avait été produit sur place, mais ce surcoût sera largement compensé par les gains supplémentaires obtenus grâce au commerce du vin.

Cette théorie des “avantages comparatifs” prévaut encore aujourd’hui pour expliquer et justifier, de façon schématique, l’intérêt des échanges internationaux.
Cependant, à l’instar de la théorie des “avantages absolus”, elle implique une dualité qui ne correspond guère à la réalité : le pays produit une marchandise ou ne la produit pas du tout.

De plus, dans l’approche classique aveugle au capital naturel, qui raisonne uniquement en terme de coûts, le transport de marchandises d’un bout à l’autre de la planète est une solution tout aussi viable que la production locale. La théorie des “avantages comparatifs” ne comparent pas les intensités CO2 des différentes alternatives.
En intégrant une comptabilité CO2, “l’équilibre classique” comme l’exemple du Portugal et de l’Angleterre serait peut-être déplacé : Les gains supplémentaires obtenus grâce à la spécialisation du commerce du vin ne compensent pas les pertes de capital naturel (coûts futurs non pris en compte)

Au milieu du 20ème siècle, les économistes Heckscher , Ohlin et Samuelson élaborent la “loi de proportion des facteurs”, que l’on appelle plus communément “théorème HOS ” (le “modèle standard” du commercie international)
Ce théorème revisite la notion d’”avantages comparatifs”, en préconisant une spécialisation selon la disponibilité des facteurs de production. Ainsi, un pays qui dispose d’un capital important aura intérêt à se spécialiser dans la production de biens à forte intensité capitalistique, tandis qu’une nation où la main-d’oeuvre est abondante devra se spécialiser dans les activités qui requièrent majoritairement du travail.

La nouvelle théorie du commercie international
Quelques années à peine s’écoulent avant que la validité du théorème HOS soit contestée. Un professeur à Harvard, Wassily Leontief , entreprend l’étude des importations et des exportations effectuées par les États-Unis. Il découvre que le pays de l’Oncle Sam, avantagé dans le commerce international par son capital abondant, importe davantage de biens à forte intensité capitalistique qu’il n’en exporte.
L’idée selon laquelle les pays s’échangeraient des marchandises selon leurs dotations respectives en capital et en travail est donc invalidée.

Le “paradoxe de Leontief ” ouvre la voie à une “nouvelle théorie du commerce international “, dont l’économiste Paul Krugman est sans doute le plus illustre représentant.
Cette théorie intègre deux idées:
– La première est celle de la concurrence imparfaite, qui contrevient à la vision classique du marché. Dans la réalité, les produits ne sont pas homogènes, mais différenciés et il existe des marchés oligopolistiques qui favorisent les offreurs.
– La seconde concerne les “rendements d’échelle croissants” (ou “économies d’échelle “). Cette notion implique que le coût unitaire d’un bien diminue lorsque sa production augmente.

Que nous apprend cette nouvelle théorie?
Tout d’abord, en intégrant l’idée de la concurrence imparfaite, elle valide le paradoxe de Leontief. Si les États-Unis importent des biens à forte intensité capitalistique, c’est parce que la différenciation des produits (concurrence imparfaite) satisfait le goût des consommateurs pour la variété.
Plus proche de chez nous et à titre d’exemple : en 2015, Renault a exporté 31 000 Mégane vers l’Allemagne et Volkswagen a expédié 35 000 Golf. Deux produits à forte intensité capitalistique (qui dit automobiles, dit usines, machines, investissements en R&D, etc.) et qui appartiennent, de surcroît, au même segment de marché (celui des berlines compactes).

Par ailleurs, si la nouvelle théorie du commerce international s’intéresse, elle aussi, à la notion d’”avantages”, elle réfute l’idée selon laquelle ces avantages seraient tombés du ciel. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’il y a des vignes au Portugal que la fillière vinicole de ce pays se distinguera sur la scène internationale. Les avantages des nations sont “construits” : ils découlent avant tout des stratégies menées par les entreprises et des choix opérés par les pouvoirs publics.

Enfin, la nouvelle théorie du commercie international observe que les économies d’échelle conduisent à la formation d’oligopoles qui deviennent très difficiles à concurrencer. Ainsi, l’entreprise qui est la première à produire un bien en grande quantité prendra rapidement l’ascendant sur ses concurrents potentiels et fera profiter son pays des bénéfices de son activité. L’exemple le plus parlant est sans doute celui de la Silicon Valley. Les créations de Microsoft et d’Apple au milieu des années 70 ont permis l’éclosion de toute une filière et ont fait des États-Unis la grande puissance technologique que nous connaissons aujourd’hui.

Mondialisation et inégalités
En 1969, Arghiri Emmanuel , économiste grec d’inspiration marxiste, publie L’échange inégal. Il constate que le commerce international permet la circulation des marchandises et des capitaux et que cette circulation aboutit à une uniformisation des prix au niveau mondial.
A contrario, le coût du travail, lui, demeure inégal selon les pays où les marchandises sont produites. Ce que veut démotnrer l’auteur, c’est que les échanges mondiaux produisent des inégalités entre les pays. Le capital des pays riches exploite le travail des pays pauvres, mais ce n’est pas tout : le travail mieux rémunéré exploite le travail moins bien rémunéré.

“Esclavage du travail” en Inde, pour contrer le “désavantage” européen en production de textile : une dynamique “normale” dans le modèle standard de l’économie classique.

Pour illustrer cette idée, prenons l’exemple de la Clio 5, véhicule produit à la fois en France, en Turquie et en Slovénie. De ces trois pays, la France est celui où le coût du travail est le plus élevé. Pourtant, un automobiliste français achètera sa Clio au même prix, quel que soit le pays où elle a été fabriquée. Ainsi, en achetant une Clio 5 produite en Slovénie ou en Turquie, l’automobiliste français, par son acquisition, rémunérera davantage le capital de Renault et participera de facto à l’”exploitation” des travailleurs slovènes ou turcs.

Les récents travaux de Branko Milanovic , spécialiste des inégalités, confirment cette idée : La mondialisation a globalement permis de réduire la pauvreté en favorisant l’émergence de classes moyennes dans des pays comme la Chine et l’Inde. En parallèle, elle a enrichi de manière considérable les détenteurs de capitaux, mais n’a pas permis d’améliorer la situation des classes moyennes des pays développés. Un phénomène que Marx entrevoyait déjà il y a près de deux siècles.

Largement retranscrit du hors-série de Science & savoirs “Les bases de l’économie”

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