
“Lorsque la vision du monde dominante, qui donne sa cohérence à une culture donnée, se désagrège, la conscience régresse vers des réservoirs plus anciens, cherchant les sources d’une survie qui assureront aussi sa renaissance.”

““Renaissance” (re-naissance) serait un mot dépourvu de signification sans la dissolution qu’il implique : la vraie mort d’où vient cette renaissance. La valeur et la nécéssité de cette régression échappe aux critiques.“

Notre culture offre deux voies de régression : (…) hellénisme et hébraïsme.
L’hébraïsme renforce le monothéisme de la croyance centrée sur soi. (…) De nos jours, nous suivons la voie monocentrique (…) chaque fois que nous essayons de “réformer”.

“La psyché en crise a, bien sûr, d’autres fantasmes. Les voies multiples de l’hellénisme, celle, unique, de l’hébraïsme, ne sont pas les seules issues dont dispose la psyché pour sortir de son dilemme pathologique. Il y a :
– la fuite dans le futurisme et ses technologies
– le recours à l’Orient et au monde intérieur
– le retour à la nature et au naturisme
– ou l’ascension et la sortie définitive dans la transcendance.
Mais ces alternatives sont moins authentiques. Elles sont simplistes, négligent notre histoire et ce que ses images exigent de nous. Ces solutions nous poussent à fuir la situation plutôt qu’à l’approfondir.“

“La science-fiction et les fiction de la science, l’enseignement des gourous orientaux et des Indiens d’Amérique -aussi sages et brillants soient-ils- ne rappellent pas notre histoire imaginale occidentale, les images qui sont effectivement à l’oeuvre dans notre âme.
En éludant notre tradition imaginale, ces recours nous en privent encore plus, et accentuent la perte d’âme que les voies alternatives, mais refoulées, de l’hellénisme et de l’hébraïsme auraient pu contribuer à réparer.
L’hébraïsme, tout simplement parce qu’il est trop bien établi, trop identique à notre vision du monde, est incapable d’affronter le dilemme actuel : une bible accueille chaque voyageur dans sa chambre d’hôtel, il vaudrait mieux que ce soir l’Odyssée.“

La mythologie grecque : une religion ou une psychologie?
“Le mythe grec sert moins spécifiquement de religion et plus généralement de psychologie ; en agissant dans l’âme, il est à la fois le stimulus et le contenant différencié de l’extraordinaire richesse psychique de la Grèce antique.“
“Regarder en arrière permet d’avancer.”
“Il ne s’agit pas de revenir à une époque historique passée, ni à une époque imaginaire, un âge d’or utopique révolu ou susceptible de renaître. La “Grèce” nous fournit l’occasion d’avoir une nouvelle vision de notre âme et de notre psychologie, au moyen de lieux et d’êtres imaginaux plutôt qu’au moyen de dates et de peuples historiques, et de préciser l’espace plutôt que le temps.
Nous quittons tout à fait la pensée temporelle et l’historicité pour nous diriger vers une région imaginale, un archipel différencié qui indique où les dieux sont, et non quand ils y furent ou y seront de nouveau.“
“Nous retournons en Grèce pour redécouvrir les archétypes de notre esprit et de notre culture. L’imagination y retourne pour devenir archétypique. En reculant dans le mythique, dans ce qui échappe au monde de faits et de l’histoire, la psyché réimagine ses problèmes factuels, ses problèmes historiques, d’un autre point de vue.“

La mythologie grecque n’est pas une religion, c’est une psychologie, qui relève “de l’exgésèse et de l’herméneutique”, et non de “l’interprétation” issue d’un département de psychologie (matérialiste et rationaliste)
Sur la vision académique des mythes
“Et, tout en oeuvrant d’une manière austère, académique et scientifique, ces géants [ndr : Roscher, Frazer, Cook, Kraepelin, Evans, Schliemann] de la fin du siècle dernier [ndr : 19ème], avec l’abondance de leurs écrits, l’élaboration de leurs systèmes et leur passion pour le travail, ont réincorporé dans la conscience occidentale ce qui en avait été exclu depuis la Renaissance : l’imaginal et son pouvoir dans la vie. Leurs recherches ont conduit à reconnaître que l’homme n’est pas uniquement occidental, moderne, séculier, civilisé et sain, mais aussi primitif, archaïque, mythique, magique et fou.”
(…)
Ils pensaient étudier des sujets situés “là-bas, dehors” dans les terrains de fouille, les asiles de fous ou les textes anciens, alors que simultanément ils étudiaient le sujet “ici, dedans” (…) ils vivaient encore dans l’illusion, cartésienne, selon laquelle leur oeuvre pouvait rester indépendante de leur psychologie personnelle. (“mythe de l’objectivité”)
Ils cherchaient l’enfant primmordial du niveau imaginal, de cette psyché dont le mode mythique de perception fournit les origines archétypiques, inscrites dans les profondeurs de la science. C’est pourquoi ces chercheurs, au sommet même de leur érudition scientifique, préparaient son écroulement. Car les forces imaginales où les menaient leurs recherches devaient à la longue mettre en question l’homme rationnel, adulte et civilisé de l’âge des Lumières, ses méthodes, et même son esprit.“

“Les universitaires tiennent à leurs départements : un mythe, un motif ou une image doivent être étudiés dans leur contexte historique, culturel, textuel, linguistique, économique, formel, sociologique et dieu sait quoi encore, et l’anathème est jeté sur celui qui compare un motif ou une image mythique à ceux d’une autre époque, d’une autre région ou d’une autre culture, ou qui considère qu’ils intéressent surtout la psyché et son imagination.
(…)
On nous fait ainsi passer la complexité d’un mythème ou d’un personnage mythique pour une description d’un processus social, économique, historique, ou comme la preuve d’un raisonnement philosophique ou d’un enseignement moraliste prélogique. Les mythes sont censés être des exposés métaphoriques (et primitifs) des sciences naturelles, de la métaphysique, de la psychopathologie ou de la religion. Mais avant chacune de ces utilisations du sens mythique, n’y a-t-il pas le mythe lui-même et son action directe sur l’âme humaine ? N’est-ce pas elle qui tout d’abord créa le mythe, puis le perpétua en l’embellissant? Et l’âme continue à rêver ces mêmes thèmes dans ses fantasmes, son comportement, et les structures de sa pensée. Aussi, la première approche du mythe doit-elle être psychologique, puisque la psyché lui fournit à la fois sa source originelle et son contexte toujours vivant“

(James Hillman, Pan et le cauchemar ⭎, guérir notre folie)

“Et réciproquement, le mythe doit être ramené à l’âme et avoir une signification psychologique pour devenir une réalité vivante nécessaire à la vie, ne plus être un artifice littéraire, philosophique ou religieux” (James Hillman)
C’est en ce sens qu’il s’attaque ensuite au mythe de Pan. 🌿

“le cerveau est instrumentalisé à des fins idéologiques ou mercantiles”
