Les cycles économiques
Quel économiste ne rêverait-il pas de prévoir les crises? Entre 1860 et 1930, plusieurs auteurs ont cherché à théoriser les fluctuations de l’activité, entre croissance et récession. Ils ont ainsi donné naissance à ce que l’on appelle communément les “cycles économiques”.

Introduction
Il y a 150 ans, bien avant que soient créées la comptabilité nationale, l’INSEE et l’indicateur du PIB, les économistes avaient déjà conscience que l’activité était soumise à des fluctuations. Leur hypothèse était que croissance, stagnation et récession s’organisaient selon des cycles. En économie, on parle de “cycles” pour désigner des mouvements alternés, récurrents, d’amplitude et de périodicité régulières.
Les trois grands théoriciens des cycles sont Clément Juglar ⭎, Joseph Kitchin ⭎ et Nikolaï Kondratiev ⭎. Pour mener à bien leurs travaux, ces penseurs se sont appuyés sur leurs observations et sur les statistiques qu’ils avaient à disposition. Ils sont français, britannique et russe, n’appartiennent à aucune école de pensée (Juglar sera plus tard rattaché aux keynésiens), mais partagent un point commun : celui de croire que le capitalisme ⭎ est capable de se renouveler.
Aujourd’hui, les économistes n’attachent plus beaucoup d’importance à ces théories. Il faut dire que la période moderne n’a pas permis de vérifier l’exactitude des différents modèles.
Toutefois, ces travaux ne sont pas dénués de valeur. En effet, les recherches de Kondratiev ont fortement inspiré un certain Joseph Schumpeter ⭎, qui élaborera une théorie plus convaincante pour expliquer l’alternance de périodes de croissance et de récession.
Les cycles Juglar
La notion de “cycle économique ⭎” a été mise en évident et théorisée pour la première fois par Clément Juglar, médecin et économiste français du 19ème siècle. Ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de “cycle Juglar ⭎” -également appelé “cycle majeur” ou “cycle des affaires”- correspond à une période de 3 à 11 ans, qui se décompose en 3 phases:
– L’expansion se caractérise par une hausse des prix et par une progression des emprunts, ainsi que des investissements. Le dynamisme économique encourage la demande, ce qui incite les entreprises à produire davantage.
– La crise intervient lorsque l’offre devient supérieure à la demande. Portées par un certain optimise, les entreprises ont produit plus que nécessaire. Les prix diminuent, la production s’ajuste à une demande en baisse.
– La liquidation (ou assainissement) se traduit par des faillites d’entreprises (nettes). Cette phase prépare le début d’une nouvelle période d’expansion. (sauf lorsque l’objectif est devenu de freiner l’expansion incompatible avec les engagements climatiques internationaux)
Les cycles Juglar caractérisent surtout le 19ème siècle et la première moitié du 20ème siècle. On considère que 13 cycles se sont produits entre 1825 et 1938, soit une moyenne de 8,7 années par cycle.
Médecin de formation, Juglar emploie fréquemment certains termes médicaux dans ses écrits. Il assimile les phases de prospérité à des périodes de “bonne santé”, l’augmentation des prix à un “symptôme”. Les crises, elles, sont des “maladies” intrinsèquement liées aux sociétés dans lesquelles dominent l’industrie et le commerce.
Ce que nous apprend Juglar, en définitive, c’est qu’il ne peut pas avoir de prospérité sans crise, de croissance sans récession. Notre seule erreur, c’est de considérer la “prospérité” comme un état normal, la “bonne santé” comme une chose définitivement acquise.
Les cycles Kitchin
En 1923, le statisticien britannique Joseph Kitchin ⭎ met en évidence un autre type de cycles, plus court, d’une durée de 3 à 4 ans. Les cycles Kitchin ⭎ correspondent aux mouvements des stocks.
Durant la période d’expansion, les entreprises n’ont pas suffisamment de stocks pour répondre à la demande. Puis le phénomène inverse se produit : l’offre dépasse la demande et les marchandsises désormais disponibles en trop grande quantité doivent être liquidées.
Les économistes considèrent que ce décalage est dû à deux facteurs :
– La transmission de l’information : les entreprises ne peuvent pas connaître en temps réel le niveau exact de la demande
– Les contraintes techniques liées à l’accroissement de la production.
Pour illustrer les cycles Kitchin, on cite souvent l’exemple de la production porcine. En effet, lorsque les prix du porc augmentent, cela signifie que la demande est devenue supérieur à l’offre. Les éleveurs doivent donc produire davantage. Mais il s’écoule un certain temps entre le moment où cette information leur parvient et celui où l’on constate une augmentation de la production, notamment en raison du délai nécessaire à la gestation!
Lorsque la marchandise arrive sur le marché, l’offre dépasse la demande. Les prix diminuent, cequi conduit les éleveurs à réduire leur cheptel et leurs investissements.
Les cycles de Kitchin nous apprennent donc que l’offre ne s’ajuste pas instantanément à la demande : le système productif a une certaine inertie.

Les cycles Kondratiev
Nikolaï Kondratiev ⭎ est un économiste soviétique de la première moitié du 20ème siècle. En 1926, il publie Les Vagues longues de la conjoncture, un ouvrage dans lequel il étudie les mouvements des prix. Il découvre qu’entre 1790 et 1920, dans les pays industrialisés, ces mouvements se décompoosent en deux phases, d’une durée de 20 à 25 ans chacun.
– la “phase A” est ascendante : elle se caractérise par une hausse du niveau des prix et de la production.
– la “phase B” est descendante : elle donne lieu à une baisse des prix et à un ralentissement de la croissance.

De son vivant, Kondratiev isole 3 cycles.
Le premier débute aux environs de 1790, au moment de la première révolution industrielle ⭎. La machine à vapeur ⭎ a été mise au point une vingtaine d’années plus tôt. Grâce à la vapeur et à la culture du coton, l’industrie textile enregistre une forte croissance en Angleterre et aux États-Unis. À partir de 1814, l’économie des pays occidentaux amorce une phase descendante, marquée notamment par la crise bancaire de 1825 ⭎ au Royaume-Uni, cette dernière étant également liée à la crise du coton ⭎. Le cycle s’achève en 1849 soit quelques années après la “panique de 1837 ⭎“.
Le second cycle débute en 1849. La phase A coïncide avec la révolution ferroviaire ⭎. En France, c’est durant la décennie 1850 que s’accélère la construction des infrastructures (en moyenne, plus de 600 km de voies sont construits chaque année). La phase B intervient en 1873 avec la crise bancaire du mois de mai ⭎. C’est le début de la “Grande Dépression ⭎“, qui s’achèvera en 1896.
C’est au tour du troisième cycle de débuter. Nikola Tesla ⭎, ingénieur américain d’origine serbe, a mis au point le moteur électrique ⭎ une dizaine d’années plus tôt. Autre progrès récent : le perfectionnement du moteur à explosion ⭎ par Daimler ⭎ et Maybach ⭎. Nous sommes au début de la seconde révolution industrielle ⭎, qui se caractérise par l’essor de l’automobile, de l’électromécanique et des industries chimiques. Pour les pays européen, la phase A s’achève en 1920, au sortir de la Première Guerre mondiale. Les États-Unis, en revanche, amorceront la phase descendante un peu plus tard avec la crise de 1929 ⭎.
Kondratiev ne verra pas la fin de son troisième cycle. Sa théorie, qui prête au système capitaliste une certaine capacité de résurgence, offense directement les idées bolcheviks ⭎. Il sera victime des “grandes purges ⭎” conduites par Staline ⭎ au cours des années 1930.

Si l’on poursuit le raisonnement de Kondratiev, on peut considérer qu’un nouveau cycle a débuté en 1945, à l’isue de la Seconde Guerre mondiale. La phase 1 correspond à la période des “Trentes Glorieuses ⭎” et prend fin en 1973. En théorie, un nouveau cycle devait débuter aux alentours de 2005, porté par l’économie Internet. Mais cette hypothèse est invalidée par l’occurrence prématurée d’une phase descendante avec la crise de 2008 ⭎.
Ainsi qu’avec la nécéssité de décroître l’utilisation d’énergie, qui est une sorte de mesure “empirique” du PIB. (cfr couplage énergie<–>PIB)
“La seule fonction de la prévision économique, c’est de rendre l’astrologie respectable” John Kennet Galbraith
L’analyse de Schumpeter
La théorie des cycles est loin de faire l’unanimité pour expliquer l’alternance de périodes de croissance et de périodes de stagnation ou de récession. Les économistes plébiscitent davantage les travaux de Schumpeter ⭎. C’est d’ailleurs lui qui a contribué à faire connaître Kondratiev, en reconnaissant une certaine valeur à sa théorie des cycles longs.

Toutefois, Schumpeter ne se contente pas de la simple observation empirique, ni des données statistiques. Au contraire, son but consiste à trouver une explication aux phénomènes d’expansion et de contraction. Sa thèse est la suivante : c’est l’innovation ⭎ qui est à l’origine de la croissance ⭎. Ainsi, les phases A des cycles de Kondratiev correspondent à l’apparition de “grappes” d’innovations et à leur diffusion. Lorsque ces innovations deviennent des parties intégrantes de l’économie, c’est le début de la phase B. Les entreprises qui n’ont pas réussi à s’adapter sont alors vouées à disparaître.
Comme Juglar et Kondratiev, Schumpeter considère qu’il est dans la nature du capitalisme de se regénérer à intervalles réguliers. Mais là où le médecin français parle de “bonne santé” et de “maladies”, Schumpeter propose la notion de “destruction créatrice ⭎“. L’innovation apporte du dynamise à l’économie, mais elle implique aussi la disparition d’entreprises.
Et comme Juglar et Kondratiev, Schumpeter n’avait pas conscience que la croissance du PIB, en tant que mesure de la croissance de l’utilisation d’énergie (couplage énergie<–>PIB) à l’échelle mondiale, était incompatible avec nos engagements climatiques, étant donné qu’il n’y avait pas de conscience climatique à son époque.
Pour le rappeler, les néo-classisistes technosolutionnistes sont des climato-dénialistes de type III. Voir à ce sujet par exemple ce post ce Cyrus F ⭎ sur Facebook (“Les technosolutionnistes sont pris dans un piège intellectuel, avec des faits de plus en plus écrasants face auxquels leurs théories s’effondrent“).
Largement retranscrit du hors-série de Science & savoirs “Les bases de l’économie”
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