Simone Weil ⭎, philosophe humaniste (à ne pas confondre avec Simone Veil ⭎ la femme politique)
Note éditoriale (Payot) à “Les besoins de l’âme ⭎” de Simone Weil:
Retranscription quasi intégrale de la synthèse orale de sa “Note sur la suppression générale des partis politiques ⭎” par Le Précepteur. C’est un must…
On ne m’en a pourtant jamais parlé à l’école!
Attention : Simone Weil décrit les limites de la “particratie”, ses 2 facteurs limitants principaux selon elle:
– l’homogénéité des idées
– la recherche du pouvoir
– selon sa conception du “bien”
Ce n’est pas pour autant qu’elle ne prétend pas qu’il soit le meilleur système possible : la critique, ça sert à progresser.
A la question : En quoi les partis politiques posent-ils problème, la réponse de Simone Weil tient en une phrase. Pour elle, les partis politiques portent en eux “le germe du totalitarisme”.
Ce sont des mots très forts, certains les trouveront même excessifs, surtout dans des sociétés comme les nôtres, où on nous présente justement les partis politiques comme un rampart au totalitarisme, comme des garanties du pluralisme et de la démocratie. Et bien Simone Weil ne partage absolument pas cette opinion. Pour elle, les choses sont beaucoup plus complexes que ça, et on va voir dans quelques instants comment Simone Weil justifie sa position et sur quels arguments elle s’appuie.
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1) Ce qu’est un parti politique et son but
Organisation de personnes partageant les mêmes idées, et dont l’objectif et d’accéder au pouvoir pour mettre en oeuvre ces idées dans la société.
Accéder au pouvoir, ou au minimum, influencer les décisions du parti qui se trouve au pouvoir.
Cette définition générique contient deux éléments essentiels sur lesquels Simone Weil va s’appuyer pour construire sa critique des partis politiques.
– Le 1er élément c’est l’homogénéité des idées. Les personnes qui adhèrent à un parti politique, ou qui votent pour lui à des élections, ce sont des personnes qui partagent les mêmes opinions et les mêmes valeurs.
– Le 2ème élément, c’est la recherche du pouvoir. Un parti politique ne veut pas simplement “exister” ou “témoigner”, il veut “peser”. Peser sur les décisions, peser sur l’opinion publique. Un parti politique qui ne pèse plus rien est un parti politique destiné à la disparition.

2) En quoi est-ce problématique?
Pour Simone Weil, ce n’est pas tel ou tel parti politique qui pose problème, c’est le système des partis politiques, la nature même des partis politiques. Pour elle, il n’y a pas de distinction à faire entre les partis politiques, puisque quelles que soient les idées qu’on y prône, le but du jeu c’est toujours de les porter au pouvoir.
Est-ce que le problème vient de l’homogénéité des idées ou de la recherche du pouvoir? En réalité, les deux:
– l’homogénéité des idées a pour conséquence qu’il rend impossible l’existence d’un pluralisme, l’expression et la cohabitation d’idées divergentes sur tel ou tel sujet. Parce qu’on peut très bien adhérer à la majorité des idées d’un parti, mais être en désaccord sur d’autres. Et quand ça arrive, le fait de l’exprimer, le fait d’exprimer une position contradictoire avec celle du parti, c’est prendre le risque d’affaiblir le parti, c’est prendre le risque de créer de la division. Quand on est dans un parti, on est censé faire bloc, et laisser ses désaccords au vestiaire. En définitive, adhérer à un parti, c’est renoncer à exprimer une pensée contradictoire, c’est renoncer à l’exercice de la raison critique, car la raison critique menace à tout moment de fragiliser l’équilibre et la stabilité du parti.
Simone Weil souligne à quel point il est problématique d’exprimer une idée au nom d’une appartenance politique (par exemple dire “en tant que socialiste, je pense que”). Car s’affubler d’une étiquette politique, c’est s’auto-conditionner à adhérer à une idée, non pas parce qu’on la juge bonne ou vraie, mais parce qu’elle fait partie du corpus idéologique du camp auquel on appartient. C’est créer les conditions de la pensée mécanique, c’est-à-dire de la non-pensée. Et ça pour Simone Weil, ça pose problème. Car ça signifie sacrifier la pensée sur l’autel du consensus. Ca signifie faire passer les intérêts du groupe avant la vérité, et ça ce n’est pas possible.
Parce qu’à la limite, on peut très bien imaginer que l’expression d’un désaccord, c’est quelque chose de positif. Qu’aller à l’encontre de la ligne du parti puisse être une occasion d’améliorer cette ligne, et de la rendre plus robuste, dans un mouvement Hegelien de dépassement par l’incorporation de la critique. Mais non : une pensée divergente ne sera pas perçue comme une occasion d’améliorer la ligne du parti, elle sera perçue comme une désobéissance, comme de la déloyauté, comme le germe de la trahison.

Simone Weil explique bien que la pensée du parti exerce une pression sur la pensée des individus qui le composent. On n’attend pas du militant qu’il exprime des idées, on attend du militant qu’il soutienne des idées, les idées du parti. Le dilemme du militant est un dilemme d’ordre moral : choisirr qui trahir : le parti ou sa pensée. Dans les deux cas il y a trahison. Elle est consubstancielle à l’appartenance à un parti politique.
Pour Simone Weil, un esprit libre dans un parti politique, c’est comme un improvisateur dans un pièce de Racine. Il y a incompatibilité des approches, entre l’attachement à la Vérité et l’unité du parti.
Et c’est tout à fait normal car un parti politique, ce n’est pas un club de réflexion. Un parti politique, c’est une organisation qui cherche à faire avancer ses idées. Pas à les contredire. Pas à les remettre en cause. Car les remettre en cause c’est admettre une faille, c’est donner une occasion à l’adversaire de s’engouffrer dans cette faille, et de nous détruire. Au plus on tolère l’expression d’opinions divergentes, au plus on brouille la ligne du parti, au plus on renvoie une image en partie morcelée et inconsistante. On ne peut pas se permettre de douter quand l’objectif est de prendre le pouvoir. (c’est une réalité psychologique = cfr expérience de Milgram : quand les membres d’une autorité ne sont pas d’accord entre eux, l’autorité s’effondre)
Si un parti politique veut être efficace, s’il veut atteindre son objectif qui est de créer de l’adhésion pour accéder au pouvoir, il doit faire taire les voix discordantes quand bien même elles seraient du côté de la vérité. Les idées ne triomphent pas parce qu’elles sont vraies, les idées triomphent parce que la force est de leur côté.

On en arrive au 2ème point de la critique de Simone Veil:
– la recherche du pouvoir. Pour atteindre cet objectif, le parti doit gagner en force, en influence, il doit grossir. Pour Simone Weil, le but d’un parti politique est la croissance et l’unité. Un parti politique est en permanence confronté à “tout ce qui n’est pas lui” (les parti d’opposition, les contraintes internationales, …). Et tout ce qui n’est pas lui représente donc une menace envers son pouvoir.
Cette logique de croissance illimitée conduit à un retournement de la relation entre fin et moyens. Le but du parti politique n’est plus d’instaurer le bien commun, c’est de continuer à croître, indéfiniment. Il n’est pas un moyen pour instaurer le bien, il devient lui-même le bien, lui-même sa propre fin. Tout ce qui est susceptible de favoriser la croissance du parti est un bien. Y compris le mensonge, y compris la compromission. Si vous risquez de perdre 5% des voix en disant la vérité, dire la vérité c’est trahir votre parti, c’est trahir l’intérêt du parti. Le but d’un parti politique ce n’est pas d’avoir raison, c’est de convaincre qu’il a raison.
Le pouvoir ne se construit pas sur de la vérité, le pouvoir se construit sur de la croyance, sur de la passion.
Et c’est à ce titre que Simone Weil est pour la suppression des partis politiques, car pour elle le bien ne s’identifie pas au pouvoir, le bien s’identifie à la vérité.

3) Qu’est-ce que Simone Weil appelle “le bien”?
Pour elle le bien, c’est la vérité et la justice.
(Platon disait : le monde sensible est gouverné par des essences, et la plus haute des essences c’est le bien, lequel se décline sous 3 formes : la vérité, la justice et la beauté. La vérité, c’est le bien dans le domaine de la pensée, la justice c’est le bien dans le domaine de la morale et la beauté, c’est le bien dans le domaine des sens.)
Le parti de Simone Weil, c’est le parti de la morale de Kant contre le parti de l’utilitarisme, le parti des principes de la morale contre le parti des résultats.
La condamnation des partis politiques par Simone Weil découle de cette conception morale. La vérité est au-dessus de l’intérêt. Et se rassembler autour d’intérêts, ce n’est pas pareil que se réunir autour de la vérité.
“Les partis politiques sont des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vértité et de la justice” Simone Weil.
La critique des partis politique de Simone Weil n’est pas seulement inspirée de Platon et de sa métaphysique du bien. Elle a également des racines communes avec la pensée politique de Rousseau.
Rousseau nous dit que dans une démocratie, ce qui doit gouverner, c’est la volonté générale. Or la volonté générale, c’est surtout pas la volonté de la majorité, ce n’est pas la sommes des intérêts particuliers. La volonté générale c’est la volonté du peuple au-delà des intérêts particuliers, en tant qu’entité unie par un intérêt commun, ce que Rousseau appelle l’intérêt général, l’intérêt de tous et donc l’intérêt de chacun.
Selon les critères de Rousseau, le suffrage majoritaire ce n’est pas de la démocratie. La démocratie, ce n’est pas une notion quantitative. La démocratie ce n’est pas le pouvoir du peuple, c’est le pouvoir de la raison du peuple. La raison, c’est ce qui unit, car la raison est universelle. Tandis que les passions sont individuelles (si les maths mettent tout le monde d’accord, c’est parce que les maths s’adressent à la raison).
Et si la raison est ce qui unit, la passion est ce qui désunit. C’est toujours la passion qui divise. Parce que la passion a son siège dans l’ego.
Platon disait encore : la raison est ce qui nous fait converger et la passion est ce qui nous fait diverger.
Voilà pourquoi l’une des stratégie de domination en démocratie, c’est la manipulation des pasisons collectives. Parce que la passion collective nous détourne de la raison, elle nous détourne de ce qui pourrait nous faire converger, et donc nous unir.
Pour Simone Weil, un peuple sous l’emprise de la passion collective ne peut pas être un peuple qui gouverne, puisqu’il n’est déjà pas un peuple qui se gouverne – parce qu’on ne gouverne rien sans raison. De ce point de vue-là encore, nous ne sommes pas en démocratie.
“Nous n’avons jamais rien connu qui ressemble, même de loin à une démocratie” Simone Weil.
Les partis politique sont au fondement de ce schéma de la passion collective, puisque les partis politiques ne s’adressent pas à ce qui fait converger le peuple, mais à ce qui le divise.
Un parti politique s’adresse à une catégorie d’individus, appelé électorat. Et cet électorat, le parti politique va devoir représenter ses intérêts.
Quand un parti s’adresse à son électorat cible, il s’adresse en réalité à un groupe d’intérêts. Ce sont les intérêts qui segmentent l’électorat. (parti = partie = segment)
Un parti politique ne s’adresse pas à la raison de l’électeur, il s’adresse aux passions de l’électeur. Le carburant d’un parti politique c’est la passion collective. La passion de ses militants, la passion de ses électeurs, la pasison de ses opposants. Tout ça est nécessaire à la survie d’un parti politique, c’est son énergie.
La segmentation des intérêts par l’intermédiaire des partis politiques, c’est la distribution d’énergie collective à des organsations chargées de convertir cette énergie en pouvoir.
Et c’est en cela que Simone Weil voit dans les partis politiques le germe de totalitarisme parce que, dit-elle, les partis sont des machines à fabriquer de la passion collective.
La passion est ce qui divise et la raison est ce qui unifie.
La passion crée les conflits, crée les tragédies et les trahisons.
La raison crée la convergence, elle crée l’union et la vérité.
La raison c’est la pièce de notre esprit qui nous permet d’être en contact avec le vrai. Platon appelait ça le noûs, le cheval blanc de l’âme, cette dimension de l’esprit par laquelle nous nous affranchissons de nos passions individuelles, nous nous affranchissons du poids de notre ego pour embrasser l’universel.
Peut-être est-ce cela la clé de lecture de ce texte : que le pouvoir du peuple suppose la raison du peuple, suppose la convergence au-dessus des passions, au-dessus des intérêts particuliers.” (crédits : Le précepteur ⭎)
C’est donc moins un problème d’ordre institutionnel qu’un problème que chaque citoyen doit aborder personnellement : parvenir à faire triompher le cheval blanc de son âme….
N’est-ce pas qu’à ce moment qu’un parti “Hegelien” qui a comme fin l’intérêt général et le bien commun, et comme moyen la raison, triomphera de lui-même, sans avoir la recherche du pouvoir comme objectif?
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Parallèles actuels
C’est très courant, déjà même au 20ème siècle, de projeter des points de vue neutres sur des opinions binaires : pour ou contre.
Que ce soient les points de vue d’autrui ou, inconsciemment, ses propres points de vue : une “lèpre qui s’est étendue à la totalité de la pensée” ^^
Parallèle actuel avec “cubisme” et “surréalisme”:
– 20ème siècle : pro relativité générale / anti relativité générale
– woke / anti-woke?
– croissantiste (néoclassisiste) / décroissantiste (économie écologique)?
– pro-vax / pas 100% pro-vax (avec les “100% provax” qui mettent tous les autres dans le même panier, sans distinction, sans nuance)
– pro-libéralisme / pro-communisme?
– ecolo / climatosceptique/climatofoutiste?
Deux exemples de la contrainte “d’homogénéité des idées” :
1) Ecolo et leur position dogmatique sur le nucléaire


2) Jean-Luc Crucke, évincé du MR
3) La feuille de route “anti-nucléaire” d’Ecolo 🤡

Simone Weil : oeuvres intégrales ⭎
ChatGPT4 simule une salle de discussion entre Voltaire, Rousseau, Simone Weil, Marx et Smith.
A cela, s’ajoute le fait que l’approche politique est “réaliste”, évidemment: Suivre le lapin blanc

Ce qui est une très bonne chose. Dans la vie publique, dans le lien social…je pense que la vie démocratique exige que chacun d’entre nous pratique l’ultracrépidarianisme.
Quand vous allez au café avec vos amis, vous parlez de tout, y compris de sujets pour lesquels vous n’avez pas un doctorat. La vie de la cité suppose qu’on se sente autorisé à parler de tout.
Sauf qu’il y a des situations, notamment scientifiques, où il y en a qui savent plus que d’autres. Et il y a d’autres situations où personne ne sait.
Et à ce moment-là, la bonne attitude c’est l’humilité.” (Klein, dans cette conférence ⭎ avec Jancovici)
vax/antivax, pass/antipass, croissants/décroissants, media/antimédia…
Si je comprends bien le monde se divise en 2 catégories:
– ceux qui ne comprennent pas, et se posent des questions
– ceux qui ne comprennent pas, et ne se posent pas de questions (les “réciteurs de la doxa”)
Je me demande qui sont les plus “manipulables” dans l’histoire? (c’est une vraie question)
A noter aussi qu’il y a deux types de sources:
– les médias
– les études scientifiques/les rapports d’experts
Dont les conclusions ne coïncident pas toujours.
Exemple avec ces deux cartes blanches sur le nucléaire.
