“Le pyrophore” est la chanson d’introduction au journal d’un pyrophore.
C’est une sorte de pastiche antithèse du “bateau ivre” de Rimbaud, mais aussi une “mise en vers” de sa “lettre à Demeny” qui en est l’inspiration d’origine : là où le bateau ivre conclut par le fatalisme et le désespoir face à l’impossible, ici c’est une allégorie de l’espoir démesuré et de l’ambition folle, limite second degré.

Ci-dessous, les hyperparoles et en version rap sur une instrumentale formée d’une superposition de “Samouraï” de Shurik’n et “Conquest of paradise” de Vangelis avec un ppcm de bpm de 12.

Le pyrophore

Quand j’aurai scindé leur sillage aux porteurs
De cotons anglais ou flamands, ô possibles ;
Transpercé l’orgueil des pavillons faillibles
En nageant sous les yeux horribles des parterres ;

Quand j’aurai trouvé la langue universelle
Repeint en couleurs les épithètes antiques
Réfléchi les brisants et les pansages luniques
Et inventé, verruqueux, les formes nouvelles ;

Quand j’aurai découvert de quelles symétries
Par le Noether des Mers, naissent les invariants
Décrit les océans par un quantique champ
Et révélé les lois de la poésie ;

Quand j’aurai désintriqué les baumes turquoises
Convolué chansons spectrales et rêves d’enfants
Condensé ouragans demi-entiers , lofant
Par vers achrones l’hyperespace des phases ;

Quand j’aurai, des confus échos des patères
Distillé les essences et mûri les nectars ;
Que mes fluides voiles auront bleui les soirs
Rajeuni des étoiles et arrosé la terre !

.

Quand j’aurai rassis le flot polaire du sud
Trouvé un placebo aux lèpres labourées ;
Décroché le lierre grippant la liberté
Et (en)guirlandé de buis l’ubac des lattitudes ;

Quand j’aurai replanté les sarts millénaires
Des versants arables de nos éclats d’humains ;
Et que j’aurai revu les phénix de demain
Sillonner les sphères boisées de notre univers ;

Quand j’aurai de Philinte montré le vieux âge :
“La parfaite raison fuit toute continuité
Et veut que l’on soit sobre avec rapidité!”
Aurai-je dit, rengaine, sur les épaules des sages ;

Quand j’aurai parlé aux sternes d’éternité
Semé des cailloux blancs que les oiseaux mangeront
Inscrit Amour sur le ventre des floraisons
Et sur le front des sédiments précipités ;

Quand je connaîtrai, d’oeil d’arche, par coeur, déserts
Volcans , noirs canyons, baies salies, vals moisis
Et que j’aurai par maints alexandrins jazzy
Déraciné les ballants attérés des airs !

.

Quand mes élans d’archet feront des profondeurs
Jaillir, triomphantes, les symphonies d’antan ;
Que mes vers, comme des lyres, seront en avant
Et rythmeront l’action des matins épandeurs ;

Quand les Foehns insondés et les cyans alizés
M’auront dit, acapella, leur vade-mecum ;
Que j’aurai palpé d’autres là-bas informes
Et garni d’or les voûtes refertilisées!

Quand j’aurai créé les sens requis et les mots neufs
Que je saurai d’un seul souffler mille choses
De ma plume de maestro qui perlera de roses ;
Verbes! Quand j’aurai dit vos gammes dans les huffs ;

Quand j’aurai, non-fixé, tapissé, sans calculs
De motifs covariants les paupières des aiguails
Et que dans les miasmes mis en éventail
J’aurai, catabatique, flûté les formules ;

Quand j’aurai cloué nus les marais vacataires
Aux piliers vivants de nos âmes souveraines
Et aurai, abondant, et blanc d’octaves pleines
Dans les longs couloirs, éventé les éthers !

.

Quand j’aurai marié le nombre et l’harmonie
Déchiffré le dédale, discret et continu ;
Volé à la Femme dé-sevrée revenue
Sa pensée guérissante de sorcière impie !

Quand j’aurai écrit mes propres Misérables
Aurai fait devenir un Musset le Rimbaud ;
Quintessé, déréglé, les halos des flambeaux
Dans l’onde porteuse des bas tempos stables ;

Quand j’aurai fait lever vertu, courage et foi
Je serai arrivé, sur la tour, sentinelle
Et que je sentirai, sous mes fraîches ailes
Le frisson incandescent des anges grivois ;

Quand j’aurai, insolent, saisi le caillou d’or
En étant devenu de moi-même l’étranger
Et que mon âme voyante se sera élevée
Vers les champs lumineux et sereins sans effort ;

Quand j’aurai satisfait le lion amoureux
Pris, tenté, bravé, persisté, persévéré
Affronté l’injuste, insulté le succès ;
Et aurai initié aux cinq branches de feu !

.

Quand je serai poli, plan comme un Horace
Que je réfléchirai, phare, tout à ma hauteur ;
Que mon foyer épars, vue dans la profondeur
Renverra l’image abyssale des surfaces ;

Quand je deviendrai, proseur, fils de Prométhée
Penseur, d’Epiméthée ; bâtisseur de Delphos ;
Chargé du règne animal, de cultes précoces
Et reconnu, par lui, décupleur de progrès ;

Quand les rails me prendront, locomotive brûlante
Sifflant les lendemains sans rendez-vous manqués
Perçant des horizons où l’autre s’est affaissé
Fonçant, poussée par l’astre qui fit briller Dante ;

Quand j’aurai lui, hors-moi, les glaces des confins
Et saurai imager les ardeurs liminales
Que j’aurai contemplé les hélices ovales
Tissées, dans un ballet, d’invisibles soies d’arain ;

Ce n’est alors que j’aurai dit assez de fleurs
Assez de parfums, assez de couleurs et sons
On aura bien compris! Et l’horrible clairon,
Ce suivant, fera éclore la poésie-fire !

917. (= giz en écriture l33t )
(initialement inspiré par la lettre de Rimbaud à Demeny de mai 1871, de nombreuses locutions en sont directement tirées)
16/10/2023