Protectionnisme ou libre-échange?
Le protectionnisme est un sujet qui s’invite de plus en plus dans le débat politique. Il représenterait une alternative au libre-échange, que l’on accuse de favoriser les entreprises étrangères et les pays à bas coûts. Qu’en est-il réellement?
Introduction
Depuis la crise de 2008, les pays développés doivent composer avec la montée des populismes. On parle de “populismes ⭎” au pluriel, car cette doctrine prend des formes différentes selon les pays.
Toutefois, elle se construit toujours sur un rapport d’opposition entre le peuple et les élites. Sur le plan économique, le populisme prône le protectionnisme, une politique qui vise à protéger les entreprises nationales de la concurrence étrangère. C’est le slogan “America First ⭎“, aujourd’hui utilisé par Donald Trump ⭎.
Néanmoins, il pourrait également présenter des avantages environnementaux et participer à des programmes de politique environnementale.
Aux yeux de ses partisans “climatofoutistes” (qui font abtraction du “terme climatique de l’équation économique”) ou non, le protectionnisme économique constitue un moyen de se prémunir contre la concurrence des pays à bas coûts, le dumping social ⭎ ou fiscal ⭎, les délocalisations ⭎, etc. Il n’implique pas forcément de renoncer à toute importation de produits étrangers, mais ces derniers sont taxés afin de privilégier la production domestique.
Aux yeux de ses partisans “climato-conscients”, il s’accompagne d’une réduction du transport international de certains biens s’il est sélectif ; il favorise, dans les pays à faible intensité carbone, la réduction de leur poids carbone en favorisant les biens et servives à moindre coût carbone. Il réduit aussi, indirectement, pour un pays importateur, les dégâts environnementaux engendrés dans des pays producteurs par cette production.

A titre d’exemple, les États-Unis ont instauré en 2019 une taxe de 25% sur le vin français. Ce type de mesure représente un tournant inédit, car depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pays du monde n’ont cessé de promouvoir le libre-échange. De fait, les échanges internationaux se sont tellement accrus que l’on parle aujourd’hui de “mondialisation“. Un phénomène qui engendre des conséquences extrêmement délétères pour la planète et qui a rendu les économies nationales dépendantes les unes des autres.
Les bienfaits du libre-échange
Doctrine “classique” par excellence, le libre-échange ⭎ implique la spécialisation internationale ou, autrement dit, une division du travail à l’échelle mondiale, ainsi que la libre circulation des facteurs de production.
Le premier théoricien du libre-échange n’est autre qu’Adam Smith ⭎, père de l’économie moderne, même si l’on retient plus volontiers la théorie de David Ricardo ⭎ sur les “avantages comparatifs“. Pour ces économistes, le libre-échange est bénéfique. Il permet à chaque nation de tirer parti de sa production en se spécialisant dans les activités pour lesquelles elle dispose de prédisposition -en termes de savoir-faire, de coûts de production, de conditions climatiques, etc. En vendant les biens qu’il est capable de produire de façon avantageuse, un pays obtient les ressources nécessaires pour acquérir les marchandises fabriquées par les autres nations. On considère donc que le libre-échange favorise la croissance économique et l’amélioration du niveau de vie des populations (c’est-à-dire de leur poids -ou empreinte- carbone)
Le commerce international n’est pas un phénomène nouveau. La route de la soie ⭎, par exemple, était déjà empruntée deux siècles avant notre ère. Mais c’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que le libre-échange est érigé en modèle. En 1947, le GATT est créé. Cet “accord général sur les tarifs et le commerce ⭎” aboutira en 1995 à la création de l’Organisation mondiale du commerce ⭎ (OMC).
La mission de cette institution consiste à “assurer l’ouverture du commerce dans l’intérêt de tous”. L’OMC rassemble aujourd’hui plus de 150 pays et elle est intervenue dans le règlement de plus de 500 différends commerciaux.

Rétrospectivement, on peut sans doute dire que c’est grâce au commerce international que nous n’avons pas connu de conflits mondiaux depuis plus de 70 ans. En effet, les pays ont moins intérêt à se faire la guerre une fois qu’ils sont devenus interdépendants sur le plan économique.
Le libre-échange est aussi en partie à l’origine des mouvements de décolonisation ⭎ qui ont eu lieu après 1945. Nul besoin de former un empire s’il suffit de faire commerce pour obtenir des matières premières ou trouver de nouveaux débouchés pour sa production.
Cependant, la guerre peut également être une façon de s’assurer l’accès à des ressources à un prix moindre que si elles étaient acquises auprès de gouvernements stabilisés. De plus, les conflits régionaux, tels que la guerre en Ukraine, montrent que malgré l’interdépendance des économies européennes et russes, des intérêts géopolitiques l’emportent sur les intérêts économiques.

Ou les intérêts économiques l’emportent sur le droit international et la paix des peuples (réalisme politique)

Au chapitre 8 du rapport National energy Policy de 2001, intitulé « renforcer les alliances globales, améliorer la sécurité énergétique et les relations internationales », le groupe de travail « recommandait que le président fasse de la sécurité énergétique une priorité de notre politique étrangère et commerciale ». « D’ici à 2020, les producteurs de pétrole du Golfe devront fournir entre 54 et 67% du pétrole mondial.”
(lien ⭎ vers l’article)
Par ailleurs, le libre-échange a permis la réduction des inégalités entre pays. C’est grâce à lui que la Chine, l’Inde et d’autres nations ont pu s’enrichir, former une classe moyenne, développer leur système éducatif ou leur système de santé. Le libre-échange est même devenu essentiel pour des pays qui seraient bien incapables d’absorber leur propre production. C’est notamment le cas de Taïwan, qui n’aurait pu se développer sans les exportations -de textile d’abord, de composants électroniques ensuite.
Enfin, le libre-échange, d’un point de vue classique, se pense favorable aux consommateurs. Il permet à ces derniers d’avoir accès à une plus grande variété de produits, à des prix souvent plus avantageux que si les mêmes produits étaient fabriqués localement.
Seulement, ce dernier point est aveugle au poids carbone. Il n’y a pas forcément de corrélation entre le prix d’un bien ou d’un service et son contenu carbone. Or, la réduction de notre empreinte carbone doit faire partir de l’équation “économique”, on ne peut donc pas en faire abstraction pour juger des avantages éventuels de libre-échange.
L’utilité du protectionnisme
Opposé au libre-échange, le protectionnisme découle du mercantilisme ⭎. Cette doctrine, très en vogue aux 16ème et 17ème siècles, se caractérise par une forte intervention de l’État dans l’économie.
En France, le mercantilisme a connu son apogée sous le règne de Louis XIV ⭎ avec un ensemble de politiques que l’on connaît sous le nom de “colbertisme ⭎“.
Afin d’encourager l’économie, Colbert ⭎ instaura un protectionnisme douanier sélectif qui favorisait l’achat de matières premières au détriment des biens manufacturés. Son objectif consistait à produire sur le territoire français des biens à forte valeur ajoutée ⭎, puis à exporter ces bien à l’étranger, ainsi que dans les colonies.
Les mercantilistes attribuent une importance particulière aux exportations. En effet, ils considèrent qu’une balance commerciale ⭎ excédentaire est forcément de nature à accroître la richesse du pays.

Dans la réalité, ce n’est pas aussi simple. Les États-Unis, par exemple, demeurent un pays riche, alors que leur balance commerciale est déficitaire depuis un demi-siècle. Par ailleurs, les richesses obtenues grâce aux exportations ne sont pas toujours utilisées à bon escient. Ainsi, sous Louis XIV, les recettes du colbertisme ont été largement consommées en raison du caractère dispendieux du Roi-Soleil, qui engagea le pays dans des conflits militaires ou ordonna la construction du château de Versailles ⭎ sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui.

Le protectionnisme ne prend pas toujours la forme de droits de douane ⭎. Il peut également s’appliquer au travers de quotas ⭎. Par exemple, l’Union européenne a récemment décidé d’appliquer des quotas sur les produits sidérurgiques. Cette mesure a été prise afin de protéger la sidérurgie européenne de la concurrence russe ou chinoise.
En effet, la Chine et la Russie ne peuvent plus exporter leurs produits sidérurgiques vers les États-Unis car ces derniers ont augmenté leurs droits de douane. Les industries de ces pays se reportent donc naturellement vers le marché européen pour écouler leur production. Mais comme l’Europe est également productrice d’acier, elle a tout intérêt à protéger ses entrepriss et les emplois qui en dépendent.
Enfin, le protectionnisme peut s’opérer au moyen de normes ⭎. C’est ce qu’on appelle le protectionnisme “gris” ou “administratif”. Ces normes peuvent s’appliquer à la qualité ou à la sécurité sanitaire d’un produit.
Le scandale du lait chinois frelaté ⭎, en 2008, a montré que l’Union européenne avait bien fait d’imposer un embargo dès 2002 sur cette denrée qu’elle jugeait insuffisamment contrôlée pour être admise sur le maché commun.

“La protection douanière est notre voie, le libre-échange notre but.” Friedrich List
L’un des grands avantages du protectionnisme est sans doute de permettre l’avènement d’industries performantes. On doit à l’économiste allemand Friedrich List ⭎ la notion de “protectionnisme éducateur ⭎“, qui désigne les mesures permettant à un pays de favoriser des industries nationales naissantes -c’est-à-dire des entreprises récentes ou innovantes qui ne pourraient pas survivre si elles étaient immédiatement confrontées à la concurrence internationale.

Un équilibre difficile à trouver
À l’image de la “croissance“, le “libre-échange” fait partie de ces notions qui semblent indépassables. D’autant que les médias ne se gênent pas pour faire de son contraire -le protectionnisme- une doctrine uniquement populiste, qui prône le repli sur soi.
“Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène.” Jean Jaurès
Dans la réalité, les choses sont moins simples. Si les États-Unis ont décidé de taxer le vin français, c’est pour sanctionner le fait que l’Europe ait attribué des subventions à Airbus ⭎ afin de favoriser le constructeur européen dans sa lutte contre l’américain Boeing ⭎.
La Chine, que l’on qualifie parfois d’”usine du monde”, applique également des mesures protectionnistes. Celles-ci se traduisent notamment par des droits de douane élevés et une politique monétaire qui favorise les exportations. L’empire du Milieu pratique également un protectionnisme “gris” à l’encontre des entreprises qui veulent s’implanter sur son territoire.
Ces grandes puissances, qui sont favorables au libre-échange, prennent donc également des mesures protectionnistes.

Une illustration récente de ce délicat équilibre et la confrontation entre les tenants et les opposants au Mercosur ⭎, dont les représentants les plus emblématiques sont l’Allemagne et la France.
L’Allemagne a tout intérêt à accéder au marché automobile sud-américain, étant une grande productrice de voitures. La France, en revanche, a un secteur agricole déjà très fragilisé, et contraint à des normes environnementales et sanitaires élevées, et dénoncent la concurrence déloyale qu’ils subiraient si la viande sud-américaine innondait les marchés européens.
Et les motifs ne se limitent pas aux seules considération économiques. En terme de climat et d’environnement, une augmentation de la consommation de viande, que l’on sait vecteur de déforestation, et donc d’émissions anthropiques, parmi d’autres effets collatéraux, est à contre-courant de la direction que nous impose nos engagements climatiques.


Cependant, on aurait tort de croire que de telles mesures se décident uniquement au niveau des pouvoirs publics. Les consommateurs peuvent également, grâce à leurs achats, encourager soit la production nationale, soit la production étrangère (cfr consommacteurs ⭎).
L’Australie est un pays riche, qui entretient des échanges avec l’Asie, mais cela n’empêche pas ses ressortissants de privilégier les produits nationaux. Doit-on parler de solidarité liée à l’histoire et à l’insularité de ce pays (l’Australie fur une terre d’exil pour les prisonniers britanniques) ou de chauvinisme économique? C’est une question de point de vue.
Largement retranscrit du hors-série de Science & savoirs “Les bases de l’économie”
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