La politique monétaire

La monnaie est-elle “neutre”, comme le prétendaient les classiques? Son rôle consiste-t-il uniquement à faciliter les échanges? Si c’était le cas, les États et leur banque centrale ne s’intéresseraient sûrement pas à la politique monétaire.

Introduction
Au début du 19ème siècle, la monnaie en circulation correpond plus ou moins à la quantité d’or détenue par la banque. Les billets sont convertibles en or et les pièces directmeent fabriquées dans des métaux précieux – à l’image du Napoléon , une pièce de vingt francs qui contient 5,8 grammes d’or pur.
Ce système perdure jusqu’à la Première Guerre mondiale . En effet, durant ce conflit, les dépenses militaires excèdent largement le budget des États. Au sortir de la guerre, ceux-ci n’ont pas d’autres choix que d”abandonner l’étalon-or et de faire fonctionner la “planche à billets ” (financement monétaire). L’or devient davantage une sorte de “garantie” pour les échanges internationaux.

Dans l’entre-deux-guerres, les travaux de Keynes mettent en exergue le rôle de la monnaie. Loin d’être “neutre”, celle-ci exerce une influence sur le niveau des prix et de la production -autrement dit, elle peut causer l’inflation et contraindre la croissance.
En 1944, à Bretton Woods , Keynes défend l’idée d’une monnaie internationale (le Bancor ) qui serait dédiée aux échanges internationaux. Mais les américains, par l’entremise de Harry Dexter White , imposent le “Gold Exchange Standard ” : les devises sont convertibles à taux fixe en dollars et seul le dollar est convertible en or. Comme les États-Unis détiennent à ce moment 70% de l’or mondial, ils deviennent les “banquiers du monde”.

Harry Dexter White (à gauche) et John Maynard Keynes en 1946

Le système monétaire international et européen
C’est près de trente ans plus tard, en 1971, que le président Richard Nixon décide de mettre un terme à la convertibilité du dollar en or, en raison de ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de “dilemme de Triffin “.

Robert Triffin

Mis en évidence plus de dix ans auparavant par l’économiste belge Robert Triffin , ce “dilemme” montre qu’en préservant la convertibilité en or du dollar, les États-Unis seront tôt ou tard confrontés à deux choix délétères:
– Soit ils continuent à alimenter le monde en dollars, au risque que cette monnaie devienne abondante au point de perdre la confiance des investisseurs (ceux-ci pourront alors être tentés de demander la conversion de leurs dollars en or, épuisant ainsi les stocks d’or américains et entraînant de cette façon l’affaiblissement du dollar).
– Soit ils refusent d’exporter leur monnaie, ce qui aura pour effet d’entraver les échanges internationaux et de nuire par la même occasion à leur économie.
Au lieu d’opter pour l’un de ces deux alternatives, les États-Unis décident d’annuler la convertibilité de leur monnaie en or. Ce faisant, ils sonnent le glas des accords de Bretton Woods conclus près de trente ans plus tôt.

Dilemme de Triffin

L’abandon de la convertibilité en or du dollar impose aux pays du monde l’adoption d’un régime dit de “changes flottants “. À partir de 1973, il n’existe plus de parité officielle entre les monnaies. Leur cours est fixé sur le marché des changes en fonction de l’offre et de la demande et peut donc enregistrer des variations importantes. Ce nouveau régime, qui sera officialisé en 1976 par les accords de la Jamaïque , prévaut toujours à l’heure actuelle.

L’année 1979 donne lieu à la création du Système monétaire européen (SME), dont le rôle consiste à créer une zone monétaire homogène et relativement stable. Le SME s’appuie sur une monnaie virtuelle baptisée ECU (European Currency Unit ), qui correspond à la moyenne du cours de chacun des devises des neuf pays membres.
Cette monnaie virtuelle a pour effet de lisser les prix des échanges intra-européens et de limiter les effets de la hausse du mark sur les exportations allemandes. En effet, l’Allemagne de l’Ouest exporte beaucoup et se trouve pénalisée dans le jeu international par un mark “fort”, ce qui contraint les entreprises à réduire leurs marges pour rester compétitives.

Vingt ans plus tard, en 1999, le SME est remplacé par l’Union monétaire (zone euro), qui instaure l’euro comme monnaie unique. L’union monétaire se traduit aussi par la création d’institutions comme la Banque centrale européenne (BCE) et le Système européen de banques centrales (SEBC).
Pour les États membres, l’adoption de l’euro induit certaines contraintes en termes de politique budgétaire. Par exemple, leur déficit public ne doit pas dépasser 3% du PIB. L’entrée en vigueur de la monnaie unique interdit également aux États de procéder à des dévaluations .

Les mécanismes monétaires
C’est donc la Banque centrale européenne, située à Francfort, qui est chargée de conduire la politique monétaire de l’Union. Sa mission principale consiste à maintenir la stabilité des prix et à sauvegarder la valeur de l’euro – autrement dit, à lutter contre l’inflation.
En effet, la monnaie joue un rôle dans la hausse des prix. Pour les monétaristes, dont le plus illustre représentant est Milton Friedman , l’inflation apparaît dès lors que la masse monétaire croît plus vite que le produit intérieur brut. Afin de lutter contre l’inflation monétaire, deux alternatives existent.
– La première consiste à limiter l’octroi de crédits, car le crédit équivaut à une création de monnaie opérée par les banques commerciales.
– La seconde implique une régulation par les taux : en augmentant les taux d’intérêt, on rend le crédit plus coûteux, ce qui a pour effet de dissuader les emprunts.

Il n’y a pas de lutte contre l’inflation sans politique monétaire restrictive.Milton Friedman

Pour limiter la croissance de la masse monétaire, il suffit donc à la Banque centrale européenne de relever ses taux directeurs. En procédant de la sorte, le refinancement des banques commerciales auprès de la BCE devient plus coûteux. Les banques sont alors contraintes de répercuter l’augmentation des taux sur les prêts accordés à leurs clients ou de restreindre tout simplement l’octroi de crédits.

Toutefois, les bienfaits de la lutte contre l’inflation sont contestés.
D’abord, parce que les indices des prix à la consommation, utilisés pour mesurer l’inflation, ne prennent pas en compte les actifs financiers ou immobiliers. C’est pour cette raison qu’en parallèle d’une relative stabilité des prix, on assiste à la formation de bulles financières ou immobilières.
Par ailleurs, en limitant les crédits par une hausse des taux, on restreint de fait l’investissement et donc la croissance. C’est peut-être la raison pour laquelle la Fed américaine, au contraire de la BCE, s’est assigné pour mission de favoriser un taux d’emploi maximum en plus du maintien de la stabilité des prix.

Le taux de change d’une monnaie peut également avoir un effet sur l’inflation.
Par exemple, un euro qui augmente face au dollar -la devise du pétrole- induira une augmentation du prix de cette marchandise au sein de l’Union européenne. Un euro trop “fort” compliquera également la tâche des entreprises dans le jeu du commerce international. Pour demeurer compétitives et éviter de perdre des parts de marché, celles-ci seront contraintes de réduire leurs marges , ce qui nuira à la rentabilité, à l’investissement et aux recettes fiscales des États!
Le régime des “changes flottants ” limite les marges de manoeuvre de la BCE sur le cours de l’euro. Pour influencer le taux de change, elle doit vendre ou acheter de grandes quantités de devises sur le marché des changes afin de modifier l’état de l’offre et de la demande.

La politique monétaire constitue donc un sujet complexe, avec de multiples ramifications. Il faut retenir que la masse monétaire et le taux de change d’une devise exercent une influence sur l’investissement, l’inflation, les importations et exportations et donc indirectement sur la croissance et l’emploi.

Masse monétaire M2 Chine et États-Unis

Quel avenir pour la monnaie fiduciaire?
Aujourd’hui, on estime que la monnaie fiduciaire (les pièces et les billets) représente 10% de la masse monétaire totale.
En effet, la monnaie est essentiellement “scripturale “, c’est-à-dire qu’elle prend la forme d’une écriture (par exemple, le solde d’un compte courant).
La BCE et les banques centrales nationales utilisent des agrégats pour évaluer la quantité de monnaie en circulation, selon son degré de liquidité.
M1” rassemble les billets et pièces, ainsi que les dépôts à vue (c’est-à-dire les comptes sur lesquels il est possible de retirer de l’argent à tout moment)
M2” correspond à “M1” auquel on ajoute les dépôts à terme de 2 ans ou moins et les dépôts avec préavis de 3 mois ou moins.
M3” équivaut à “M2” plus les titres du marché monétaire et les titres de créance ayant une échéance inférieure ou égale à 2 ans.

Évolution de la masse monétaire en zone euro (1998-2007)
Évolution de la masse monétaire en zone euro (1999-2023)
En vert (échelle de droite), la variation annuelle de M3

La suppression de la monnaie fiduciaire permettrait aux pouvoir publics de lutter plus efficacement contre la fraude et les trafics.
Toutefois, une telle mesure affecterait également les pourboires de la restauration, les dons faits aux plus démunis ou encore la vente de tickets à gratter, source de revenus pour l’État.
Cela renforcerait également le pouvoir des banques, qui prélèvent des frais sur les règlement effectués par carte bancaire et imposeraient sans doute à tous les citoyens de s’équiper d’un smartphone.
En Suède, les règlement en espèces ne représentent plus que 1,5% du montant de l’ensemble des transactions.

Largement retranscrit du hors-série de Science & savoirs “Les bases de l’économie”

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