L’appel des polytechniques (promotion 2017)

(via Transition 2030 )
Le discours complet (en texte et en vidéo)…extrait de mise en bouche:
Un nombre croissant d’entre nous ressentent une dissonance aiguë entre ce modèle de réussite matérialiste, et la conscience de ses impacts sociaux et environnementaux. Entre notre formation qui vise à perpétuer un monde sans fin, et le fait que notre extractivisme épuise toujours plus les ressources planétaires. Nous sommes un nombre croissant à vouloir écouter nos doutes et explorer des alternatives à un système devenu dysfonctionnel.
On nous répondra : « Vous êtes des ingénieurs plein d’idées, vous pourriez inventer de nouvelles technologies pour nous aider. » Mais ce biais technicien, nous devons l’éviter, cette tendance à croire qu’à chaque problème on peut associer une solution technique. Car non, l’essor de
l’hydrogène vert, des batteries longue durée, des biocarburants ou de la capture carbone ne suffiront pas à nous éviter un réchauffement de 4°C et l’effondrement du vivant. Nous qui sommes câblés pour rationaliser, nous ne pouvons pas le nier : la planète ne peut plus encaisser la somme accumulée de nos pressions.



Polytechnique : urgence écologique et sociale, trois promotions appellent à s’engager
“Lors de nos cérémonies de remise des diplômes de l’Ecole polytechnique, les 24 et 25 juin, nous, des jeunes des promotions 2015, 2016 et 2017, avons prononcé des discours invitant nos camarades et alumnis à s’engager d’urgence pour stopper l’effondrement du vivant. Quatre discours d’une radicalité inédite dans l’histoire de l’institution, dont vous trouverez ici les retranscriptions.”
POLYTECHNIQUE : LA TECHNOLOGIE NE SUFFIRA PAS – URGENCE ÉCOLOGIQUE ET SOCIALE – PROMOTION 2015 ©


Monsieur le Président, Mon Général, chers professeurs, chères familles, camarades,
C’est désormais un passage inévitable de ce type de cérémonie : le discours sur l’écologie. L’École a souhaité que les discours soient positifs, légers, axés sur l’engagement. Essayons.
La cérémonie de ce matin est un peu particulière. Entre notre départ du campus et aujourd’hui, il s’est passé 4 ans. 4 ans à chercher sa voie, se perdre, penser avoir trouvé, pour bifurquer à nouveau. 4 ans également de crises sociales, de pandémie, de guerre, et de signaux toujours plus
nets des dérèglements climatiques en cours. 4 ans pour prendre conscience de tout cela, pour y réfléchir, et pour mûrir.
Aujourd’hui, nous ne voulons donc pas seulement répéter les messages du Manifeste étudiant pour un réveil écologique que nous avons signé il y a justement 4 ans. Aujourd’hui, nous voulons aussi profiter de ces retrouvailles retardées pour exprimer, avec un peu de recul, toute la gratitude que nous avons pour l’X, mais aussi évoquer certains questionnements auxquels l’école nous a moins bien préparés et que bon nombre d’entre nous se sont posés ces dernières années. Des doutes, des anxiétés, mais aussi des aspirations et des rêves. Et ce avec l’espoir que ces
sentiments trouveront un écho grandissant entre ces murs et au-delà.
MANIFESTE – ACCUEIL
Nous, étudiants et jeunes diplômés, faisons le constat suivant&nbsp: malgré les multiples appels de la communaut…
L’X offre la promesse de former des esprits analytiques et techniciens, qui feront partie des décideurs de demain. Mais des décideuses et décideurs d’un genre restreint, pour qui résonne encore la devise centenaire de l’École : “Pour la patrie, les sciences et la gloire”. Pour les autres, qui préféreraient peut-être œuvrer “pour l’humanité, le vivant ou l’avenir”, trouver sa voie après l’X est plus complexe. Il leur faut sortir des dogmes inculqués, aller à l’encontre des carrières dorées vers lesquelles familles, proches et société les poussent. Il leur faut se convaincre que non, leurs aspirations à se rendre utiles autrement ne font pas d’elles et d’eux des privilégiés ingrats ou manquant d’ambition.
Un nombre croissant d’entre nous ressentent une dissonance aiguë entre ce modèle de réussite matérialiste, et la conscience de ses impacts sociaux et environnementaux. Entre notre formation qui vise à perpétuer un monde sans fin, et le fait que notre extractivisme épuise toujours plus les ressources planétaires. Nous sommes un nombre croissant à vouloir écouter nos doutes et explorer des alternatives à un système devenu dysfonctionnel.
On nous répondra : « Vous êtes des ingénieurs plein d’idées, vous pourriez inventer de nouvelles technologies pour nous aider. » Mais ce biais technicien, nous devons l’éviter, cette tendance à croire qu’à chaque problème on peut associer une solution technique. Car non, l’essor de
l’hydrogène vert, des batteries longue durée, des biocarburants ou de la capture carbone ne suffiront pas à nous éviter un réchauffement de 4°C et l’effondrement du vivant. Nous qui sommes câblés pour rationaliser, nous ne pouvons pas le nier : la planète ne peut plus encaisser la somme
accumulée de nos pressions. Le constat est clair : nous devons réduire nos consommations matérielles, à commencer par les nôtres, celles des privilégiés. Nous devons radicalement changer nos modes de vie, de production et de consommation, nos façons de nous déplacer, de manger,
de travailler, d’aménager le territoire, et même de vivre en société.
Mais une fois qu’on a dit ça, qu’est ce qu’on fait ? Comment ne pas se sentir impuissant lorsque le défi est de faire évoluer les habitudes de milliards d’êtres humains ? De déconstruire l’imaginaire d’une civilisation industrielle vieille de deux cents ans ?
Commençons peut-être par notre éducation. Dans nos couloirs infusent les idéaux d’innovation technologique, d’audace entrepreneuriale : à travers des cours d’économie qui postulent la croissance exogène, ou des cursus d’intelligence artificielle, totalement déconnectés des problématiques sociétales ; à travers aussi la présence, pourtant maintes fois pointée du doigt, d’intérêts industriels dans les conseils d’administration de nos institutions, et qui s’incarnent dans la présidence de notre école ; ou encore à travers des amphis obligatoires, où des anciens nous vantent leur brillante carrière et nous invitent à mettre nos compétences au service d’entreprises qui semblent souvent avoir perdu de vue le bien commun.
Tout cela, ce sont des choix. Les choix d’une institution qui désire nous faire réussir dans le système économique de nos aînés, mais peine en contrepartie à nous donner une vision des enjeux critiques de notre temps. Une institution qui voue une foi absolue à la science et à la technique, et en fait de nous les produits. Nous devenons des techniciennes et des techniciens hors sol, meilleurs alliés d’un modèle socio-économique dont les logiques seraient immuables.
Alors rappelons d’abord que non, les règles du jeu ne sont pas immuables. Les modèles économiques dont nous héritons, sont dépendants des manuels scolaires et des professeurs qui les perpétuent. Nous sommes en droit d’exiger que nos institutions, qui forment nos jeunes à penser le monde, mettent à jour leurs récits. Elles doivent s’en montrer capables ; c’est bien là que se jouent leur mission d’intérêt général, et la légitimité de leur gouvernance.
Il est impératif de débarrasser nos formations de leurs biais, pour offrir aux jeunes générations les outils et la créativité nécessaires pour changer le système. Mais ça n’est absolument pas suffisant. Le temps nous est compté, chaque dixième de degré compte. Nous nous adressons donc aussi à vous tous, diplômés cette année comme il y a trente ans.
Nous pouvons toutes et tous contribuer. Nous devons toutes et tous contribuer. Avoir pu profiter d’études supérieures payées, c’est une chance incroyable. Bénéficier aujourd’hui d’une certaine position économique et sociale, c’est aussi une chance incroyable. Une chance qui nous donne la possibilité, et même le devoir, de prendre le temps de réfléchir, de nous questionner. A quels bénéfices est-ce que j’emploie aujourd’hui ces privilèges ? Informons-nous, indignons-nous, sensibilisons, débattons, mobilisons. Dans nos vies professionnelles comme personnelles. Avec nos proches, avec nos collègues, avec de parfaits inconnus. En militant, en résistant. En changeant le système de l’intérieur ou en désertant. Engageons-nous. Pour redonner à l’environnement et à l’humain leur juste place dans nos pratiques ; pour redéfinir nos critères de succès et de prospérité ; pour créer de nouvelles formes d’organisation associatives, coopératives, participatives. Il y a partout des marges de manœuvre, partout des victoires bonnes à prendre, partout des idéaux à bâtir. Nous avons toutes et tous un rôle à jouer pour mettre nos compétences
et notre sensibilité au service du bien commun.
Et si le découragement pointe, regardez autour de vous. Partout des gens s’éveillent, partout des gens s’engagent.
Pour l’humanité, le vivant, et l’avenir.
Polytechnique : La technologie ne suffira pas – Urgence écologique et sociale – Promotion 2015
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POLYTECHNIQUE : LA TECHNOLOGIE NE SUFFIRA PAS – URGENCE ÉCOLOGIQUE ET SO…
POLYTECHNIQUE : VOIES/VOIX D’X FACE À L’URGENCE ÉCOLOGIQUE ET SOCIALE – PROMOTION 2016
“Aujourd’hui, c’est la remise de nos diplômes ! La consécration de mon brillant parcours scolaire ! D’ici la retraite, 40 ans de carrière et de responsabilités ! Je vais réussir ma vie, être aimé, être beau, être intelligent, et puis surtout gagner de l’argent. Et puis peut-être que dans 30 ans, je serai dans ce même amphi, à la place de mes parents, à regarder la remise de diplômes de mes enfants…

Pourtant, dans 30 ans, nous serons aussi en 2052. Les rapports du GIEC et de l’IPBES sont sans appel : nous devons résoudre en 30 ans le défi écologique. Un défi existentiel et civilisationnel dont l’enjeu est la possibilité même de soutenir la vie. Effondrement de la biodiversité, déstabilisation des écosystèmes et par ricochet de la société : migrations forcées, famines, guerres, jusqu’à la mort de millions de personnes. Avec tout ça, dans quel futur suis-je censé me projeter ?
Tu penses que tout ça n’aura aucun impact sur ta vie professionnelle ? En fait, avec tes projets de carrière tout faits, t’es un peu dans le déni non ?
Le déni n’est plus une option. On ne parle pas d’un futur lointain et hypothétique, de « peut-être », de scénarios. On parle d’aujourd’hui. On parle de la famine à Madagascar, de la pollution en Chine, des méga incendies en Australie et au Canada, de la montée des eaux au Bangladesh, de la canicule mortelle en Inde et au Pakistan, de la déforestation en Amazonie, des inondations en Belgique et en Allemagne, de la fonte des glaciers et de températures records à nouveau en France cet été. Tout cela se passe aujourd’hui. La crise écologique est déjà bien installée. L’effondrement de la vie est déjà en cours ; y compris celui de la vie humaine.

Car la crise écologique n’est pas qu’environnementale, elle est aussi sociale. Notre système actuel, capitaliste et de surconsommation, celui-là même qui est responsable des dérèglements environnementaux, est aussi responsable d’inégalités inacceptables. Ces inégalités, entre pays, et entre classes sociales dans chaque pays, ne vont aller qu’en s’amplifiant à cause de la crise écologique : les plus pauvres, par manque de moyens pour s’adapter, sont les plus exposés au dérèglement climatique, et en sont aussi les moins responsables. Il paraît inimaginable que les efforts de sobriété qui seront nécessaires pour tenter d’endiguer la crise environnementale soient portés par ceux qui, en France aussi, ont déjà du mal à finir les fins de mois. Par ceux pour qui davantage de “sobriété” signifie une perte de confort intolérable. Malgré les multiples appels de la communauté scientifique, malgré les changements irréversibles d’ores-et-déjà observés à travers le monde, nos sociétés continuent leur trajectoire vers une catastrophe environnementale et humaine.

Et moi dans tout ça, je fais quoi ? On m’a dit que la société avait investi en moi, avait investi dans ma formation à l’École, pour que je mette mes connaissances et mes compétences au service du bien commun. On m’a dit qu’en tant que future élite de la France, j’allais être amené.e à exercer des postes dits “de haut niveau”. Et on m’a dit que c’était bien, parce que j’aurais ainsi l’opportunité de me faire entendre, de changer les choses rapidement, en imposant des décisions que je trouve vertueuses et éclairées. Et que finalement, j’aurais beaucoup d’impact. Est-ce que c’est vrai tout ça ? Je ne sais pas. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’en étant à un poste “de haut niveau”, mon potentiel de nuisance environnementale sera bien plus élevé que la moyenne. Et je dois dire que certains de nos anciens l’ont illustré et l’illustrent encore aujourd’hui.

Nous ne pouvons pas ignorer l’urgence écologique et sociale, et moins encore la responsabilité que nous pouvons avoir dans son aggravation, comme dans les réponses à y apporter. Alors saisissons cette responsabilité, maintenant. Ce sombre tableau n’est pas une fatalité.

OK. Alors, que faire de ces 40 prochaines années ? Faut-il sauter le plus vite possible hors du wagon 1ère classe pour ne pas dérailler ? Pour changer de cap, quels autres rêves que ceux de mes parents puis-je construire ?

Aujourd’hui, il est urgent d’accepter d’ébranler toutes les certitudes qui ont pu nous animer jusqu’à présent. Il est urgent d’entamer un virage radical, de sortir des rails sur lesquels nous installent insidieusement notre diplôme et notre réseau. Il est urgent de renoncer à notre petit confort, un confort certes rassurant, mais délétère. Car résoudre des problèmes à la marge sans jamais remettre en cause les postulats de base du système dans lequel nous vivons ne suffira plus.
Aussi devons-nous questionner les mots que nous utilisons pour leur redonner du sens : le flou artistique de ces indicateurs de “soutenabilité” ne devrait-il pas me faire suspecter une certaine malhonnêteté intellectuelle ? Le mot “transition écologique” est-il utilisé comme une expression à la mode galvaudée ou comme un vrai concept porteur de changement ? Perdons cette illusion : on ne négocie pas avec les limites planétaires, même à renfort d’entourloupes sémantiques ou de greenwashing.
Il est plus que crucial d’élargir nos champs de vision, d’élargir nos champs d’écoute, de regarder le mur dans lequel nous fonçons, et de réfléchir aux trajectoires que nous pouvons prendre pour l’éviter. Il est plus que crucial de critiquer, dénoncer, d’oser s’opposer, de comprendre les blocages qui nous ont jusqu’à maintenant empêchés d’atteindre le niveau d’ambition nécessaire face à l’urgence écologique. Ces blocages sont d’ordre organisationnel, structurel, systémique : l’incapacité des banques à financer la transition est-elle simplement le résultat de quelques mauvais indicateurs ou révèle-t-elle au contraire l’incompatibilité fondamentale entre nos objectifs climatiques et la recherche constante de rendement, de rentabilité? Ces blocages, enfin, sont aussi personnels, et c’est aussi sur ces biais que nous devons essayer de mettre le doigt.

Notre formation nous permet d’aborder la situation avec un regard scientifique et critique. Mais elle favorise deux biais majeurs dont nous devons prendre conscience. Le premier est lié à notre posture d’ingénieurs, qui nous pousse à vouloir trouver à tout prix des solutions techniques aux problèmes. La technologie à elle seule, que cela soit bien clair, ne nous sauvera pas. Et rien ne nous garantit que son utilisation ne nuira pas. Pour relever ce défi systémique, remettons de l’humain et du vivant dans le champ trop longtemps aseptisé des sciences techniques. Ouvrons nous à d’autres disciplines, comme les sciences sociales, les sciences politiques, l’histoire et la philosophie mais aussi des savoir-faire dont notre génération est la première à ne pas avoir hérité du tout, en maraîchage, mécanique, construction, soin aux autres, toutes ces choses qui salissent les mains en construisant et réparant plutôt qu’en détruisant et aliénant.
Le second biais est que cette formation élitiste a pu nous laisser croire que parce que nous avions réussi un des concours d’ingénieur les plus difficiles, nous serions les plus intelligents, les plus capables, les plus à même de résoudre tous les problèmes qui se présenteraient à nous, nous coupant du même coup de la réalité sociale de notre pays.
Redescendons sur terre. Taisons-nous, deux minutes, pour une fois, et écoutons. Ecoutons véritablement. Les problématiques que nous considérons essentielles, sont-elles celles auxquelles est confrontée quotidiennement la majeure partie de la population française? Les solutions que nous proposons, et que nous pensons bonnes, ont-elles du sens, sont-elles vraiment justes pour toutes et tous?
Repartons du “terrain”, soyons à l’écoute des femmes et des hommes qui nous entourent, et qui ont beaucoup plus à nous apprendre que ce que nos prédécesseurs ont bien voulu entendre d’elles et eux. Si leur voix n’est pas audible dans le débat public, contribuons aussi à la faire entendre, pour que la démocratie reste saine et vivante. Les réponses à l’urgence environnementale et sociale seront citoyennes ou ne seront pas.

Alors, concrètement, face à l’urgence écologique, que pouvons-nous faire ? Déserter, comme l’ont proposé des camarades d’Agro, ou agir de l’intérieur?

Certaines et certains d’entre nous ont choisi la recherche, fondamentale ou appliquée, pour que les trajectoires techniques et sociales se basent sur les meilleures connaissances.

D’autres servent la puissance publique, ou s’engagent en politique, en espérant impulser et mettre en œuvre des politiques publiques à la hauteur des enjeux.

D’autres encore ont créé ou rejoint des startups pour passer à l’échelle des solutions techniques, parce qu’il y en a et, malgré la vigilance qu’il faut avoir à leur propos, elles seront utiles.

D’autres ont rejoint de grandes entreprises, convaincus qu’il faut les infiltrer pour inscrire la lutte pour l’urgence écologique au cœur de leur stratégie.

Certains ont choisi les think tanks.

D’autres ont pris des engagements associatifs, personnels, ont rejoint des groupes de réflexion radicaux.

Certains, enfin, se sont engagés dans des parcours de rupture, en choisissant de renverser la table et d’aller explorer de nouveaux horizons.

Dans toutes ces voies, la remise en question constante est absolument nécessaire. Nous n’avons plus le temps de nous donner bonne conscience, ni de nous voiler la face. Nous n’avons plus le temps de choisir des voies de non action. Nous n’avons surtout plus du tout le temps de contribuer à l’aggravation de la situation.

En parallèle de nos engagements professionnels ou associatifs, nous pouvons montrer l’exemple en adoptant un mode de vie plus sobre, compatible avec le respect des limites planétaires et le faible budget carbone qu’il nous reste à émettre. Cela requiert de changer véritablement nos habitudes : voyager autrement, en limitant drastiquement l’avion ; manger autrement, en arrêtant la viande à tous les repas ; se loger autrement, dans moins de mètres carrés… Cette vie plus sobre, ce n‘est pas une vie plus triste ! Au contraire : c’est un retour les pieds sur terre, une opportunité pour ne plus confondre surconsommation et bonheur, multiplicité de choix et liberté. Une opportunité pour renforcer nos relations aux autres, et substituer au capital économique et financier la richesse des liens humains.

Nous sommes déterminés, mais nous ne pouvons pas agir seuls : nous ne pourrons relever ce défi qu’avec l’implication active des décideurs et décideuses économiques et politiques, dont une partie est issue de cette école. Alumnis polytechniciens et polytechniciennes, nous nous tournons vers vous. Faites véritablement vôtre cette posture de doute et de remise en question. Cette responsabilité est aussi la votre. Rappelez-vous-en : notre objectif doit être de servir l’intérêt général.

Alors, que va-t-on faire de ces 40 prochaines années ? Nous voulons partager avec vous notre envie de rêver à quelque chose de nouveau. On ne résoudra pas le défi écologique par le déni ou l’inaction.
Ayons ensemble le courage d’oser. Osons questionner le paradigme actuel, sortir des sentiers battus, osons transformer les modèles et imaginer de nouveaux futurs, osons construire un avenir différent de celui qui semble tout tracé aujourd’hui. Un avenir soutenable, un avenir juste, un avenir heureux. La société que nous voulons n’est pas une société plus dure, plus triste, de privation subie ; c’est une société plus sereine, plus agréable, de ralentissement choisi.
Même si la tâche ne sera pas aisée, c’est une perspective profondément enthousiasmante. Une perspective qui nous donne aujourd’hui envie d’essayer, d’essayer de réfléchir avec un esprit scientifique ouvert et de co-construire avec détermination, toujours dans une recherche profonde et vraie d’humilité et d’écoute. Cher.e.s camarades, engageons-nous pleinement, devenons ensemble les polytechniciennes et polytechniciens acteurs et actrices d’un futur soutenable, et surtout, d’un futur désirable. Et engageons-nous maintenant ! Car il est déjà si tard… “
Polytechnique : Voies/voix d’X face à l’urgence écologique et sociale – Promotion 2016
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POLYTECHNIQUE : VOIES/VOIX D’X FACE À L’URGENCE ÉCOLOGIQUE ET SOCIALE – …
POLYTECHNIQUE : MOBILISATION COLLECTIVE POUR UNE URGENCE ÉCOLOGIQUE ET SOCIALE – PROMOTION 2017
Chers parents, chers camarades, chers amis,
Pour nombre d’entre nous, les années à l’X et celles qui ont suivi ont été accompagnées de questionnements, de prises de conscience ou d’engagement nouveaux. C’est pourquoi aujourd’hui nous tentons avec nos mots de porter une voix qui est issue de nombreux échanges avec nos camarades, que nous remercions du fond du cœur pour leur disponibilité jusqu’à la, traditionnelle, dernière minute.
L’X c’est une bulle. Un jeu de rôle grandeur nature où plus t’as de pulls d’asso plus t’as de points. On parle peu de ce qu’il se passe dehors, après tout, c’est normal ! le RER B c’est le bout du monde.
Aujourd’hui nous quittons notre bulle, où l’on organisait des comédies musicales à 200, où le réseau internet était géré par les élèves, où l’argent était rarement un sujet, pour débarquer en 2022, en France, dans un monde pétri d’inégalités croissantes et d’injustices face à une urgence climatique sans précédents.
Parce que c’est notre remise des diplômes, il aurait été tentant, plaisant même de tailler le bout de gras sur nos bons et mauvais souvenirs du plateau. Il y en a des choses à dire, sur cette vie de campus !
D’abord, des choses très positives : une formation académique riche et variée, de nombreux professeurs et encadrants, une vie associative foisonnante et des valeurs issues du cadre militaire qui modèlent la vie à l’X. J’ai nommé : la cohésion et le devoir d’exemplarité.
Ensuite, des choses très paradoxales : on nous a enseigné les théories économiques néolibérales, tout comme la physique du climat. On nous a forcé au silence lorsque l’image de l’Ecole était en jeu tout en nous encourageant à nous engager. On nous a bombardé de présentations de cabinets de conseils tout en nous vantant le service de l’État.
Et enfin, des choses clairement améliorables : le manque de diversité sociale, le rapport au genre et à la sexualité, pire, l’omerta sur les agressions diverses qui ont lieu sur ce campus. Aujourd’hui, alors que nous quittons notre école, nous souhaitons faire un pas en avant, et pas seulement regarder vers l’arrière.
Là, parents comme élèves, vous nous regardez tous du fond de vos chaises en vous disant, « comme d’habitude, un discours culpabilisant, avec les mêmes rengaines contradictoires qu’on entend tout le temps :

Cesse de manger de la viande rouge

Ne prends plus l’avion

Ni la voiture

Achète tes fringues sur Vinted
– Mais Vinted, ça encourage la surconsommation

Bref…
Et vous auriez raison, la réponse ne réside pas uniquement dans les comportements individuels. Plus encore, la question écologique ne peut être dissociée de la question sociale.
Pourtant, les partisans d’une croissance verte effrénée s’échinent à nous faire croire que la marche du monde est un problème d’optimisation solvable par des technocrates dans une tour de verre.
Aujourd’hui nous recevons un diplôme chargé d’Histoire, qui nous assure une légitimité à vie dans le monde professionnel et ce, qu’on le veuille ou non, qu’on le mérite ou non. Il nous sera toujours plus facile d’obtenir un prêt d’une banque, de gagner un revenu plus que décent, d’avoir le travail que l’on souhaite, voire qu’il soit épanouissant. Nous avons la chance d’être libre de choisir notre voie.
En tous cas plus que d’autres qui n’ont pas eu nos privilèges, qui ne sont pas nés aux mêmes endroits. Comme certains, je suis née à Paris, comme d’autres j’ai été à Louis le Grand, comme nous tous, j’ai intégré Polytechnique. J’ai pris des raccourcis, pendant que l’on répétait à d’autres qu’il suffit de le vouloir, de travailler plus dur, pour le mériter vraiment.
En partant de ces constats, nous pensons toutes les deux, avec bien d’autres, qu’il est essentiel de commencer par se poser les bonnes questions. Peut-être, d’abord, s’inspirer de nos grands anciens, ce fameux Vaneau, par exemple, qu’on a érigé en figure emblématique de l’École en omettant trop souvent qu’il se battait contre l’ordre établi et pour une société dont il rêvait.
Surtout, ensuite, se regarder dans un miroir, dans le blanc des yeux et se demander si nous essayons vraiment de porter dans le monde réel ces valeurs que l’on brandissait à l’X, d’exemplarité et de cohésion, ou si nous cédons à la facilité d’un quotidien sans problème et aux sirènes d’une société individualiste où le moi est roi. Parents, nous sommes persuadées que vous aussi avez un miroir chez vous.*
Nous ne désirons absolument pas prôner un chemin plutôt qu’un autre, car nous sommes persuadées que le meilleur moyen d’engager un combat c’est de choisir ses armes. Pour augmenter sa puissance d’agir, disait Spinoza, il faut trouver sa joie.
Alors disons non, révoltons-nous, partons si nous pensons devoir partir, battons-nous si nous pensons devoir nous battre. Encore une fois, n’oublions pas la légitimité apportée par notre diplôme, n’oublions pas que nous pouvons l’utiliser pour faire bouger les lignes. La jeunesse, dont les X, a déjà commencé un combat en signant massivement le manifeste pour un réveil écologique par exemple.
Au sein de la promotion s’ajoutent beaucoup d’autres initiatives personnelles :

Coller des affiches féministes

Écrire sur la démocratie

S’engager chez Extinction Rébellion

Passer 6 mois dans un camp de réfugiés

Se spécialiser dans les énergies renouvelables, ou en politiques de l’environnement.
En bref, il n’y a vraiment pas besoin d’être exemplaire pour se lancer. Mais il faut commencer quelque part, toujours se remettre en question et surtout garder à l’esprit qu’à la fin, c’est la société tout entière qu’il faut repenser.
Aujourd’hui nous tous disons au revoir à ces murs et à cette école qui nous a fait grandir de multiples façons. Alors ce soir on veut se demander pourquoi et pour quoi.
Ces questions on ira les poser demain, dans les entreprises, ou sur les chemins de traverse qu’il nous reste à défricher. On les portera en étendard face aux froides analyses coût/bénéfice, face aux chiffres qui remplacent l’humain, face au cynisme de ceux qui préfèrent foncer dans le mur.
On pensera à nos lointains et plus seulement à nos prochains. On changera nos métiers d’ingénieurs pour ne plus les dresser contre la vie mais plutôt apprendre d’elle. On fera au mieux pour vivre de nos valeurs, de nos amitiés, d’art et de fête. De nos questions et de nos luttes aussi.
On s’engagera pour construire un monde dans lequel on peut continuer tous les soirs à s’opposer sur le sens de la vie, en ayant les moyens d’en parler tous ensemble.
*Phrase non prononcée à l’oral car faisant partie d’une ancienne version, mais nous souhaitons garder cette idée que notre génération n’est ni la seule concernée, ni la seule à pouvoir faire quelque chose, notamment au vu des positions actuellement occupées par les personnes de la génération de nos parents par rapport aux nôtres.
Polytechnique : Mobilisation collective pour une urgence écologique et sociale – Promotion 2017
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POLYTECHNIQUE : MOBILISATION COLLECTIVE POUR UNE URGENCE ÉCOLOGIQUE ET S…
POLYTECHNIQUE : TÉMOIGNAGE DE BENOIT HALGAND, ENGAGÉ FACE À L’URGENCE ÉCOLOGIQUE – PROMOTION 2017
Chers camarades,
Ceux qui me connaissent le savent : j’ai une conscience aiguë de la crise écologique en cours, je constate avec gravité l’effondrement massif du vivant, nos incapacités structurelles à faire face au péril climatique, ainsi que les vives tensions traversant nos sociétés. Ceux qui me connaissent le savent aussi : je ne capitule pas face à notre avenir que l’on peut juger effrayant, mais je m’engage ardemment pour tenter de le préserver.
Vous l’aurez compris, je vais vous parler ce soir des choix que j’ai posés pour agir face à ces bouleversement planétaires. Ce témoignage fait suite à plusieurs prises de parole qui ont eu lieu sur ce thème pendant la soirée. Cela peut vous sembler une redite. Je vais parler de moi, beaucoup d’autres camarades auraient pu exposer leurs choix. Mais on ne pouvait tout de même pas finir sur ce thème par ces belles paroles de Monsieur Pouyanné. J’en profite d’ailleurs pour le remercier de nous avoir permis de lutter et d’avoir fini par abdiquer.
Ces mobilisations collectives ne datent pas d’hier. Quelques mois après notre arrivée sur le campus, dès 2018, nous étions plus de 200 de notre promotion à signer le Manifeste étudiant pour un réveil écologique. Dans ce texte, nous affirmions notre refus de participer aux destructions sociales et environnementales en cours et notre détermination à changer un système économique en lequel nous ne croyons plus.
J’ai pour ma part fait le choix de rejoindre le collectif à l’origine de ce manifeste. J’ai décidé de profiter mes années d’études pour faire de cette lutte une priorité. Avec d’autres camarades, nous avons eu l’occasion de porter ce message auprès de nombreux décideurs économiques, dirigeants d’entreprises ou cadre supérieur. Un certain nombre était d’ailleurs issu des rangs de notre école. J’ai longtemps été habité par de la colère ou du dépit après ces échanges, constatant l’insouciance de ces personnes et le décalage important entre leurs promesses et leurs actes.
J’éprouve aujourd’hui davantage de la compassion pour cette génération aux manettes. J’ai rencontré des personnes stressées, déconnectées de la réalité, et des personnes qui sont en train de réaliser, plus ou moins consciemment, qu’elles se sont trompées. Que le modèle de réussite qui était le leur, leur belle carrière, leur salaire vertigineux, leurs nombreux biens matériels et leurs vacances à l’autre bout du globe, sont aujourd’hui mis en accusation par la crise écologique. Alors qu’ils cochent tous les codes de réussite de la société croissanciste, productiviste et consumériste dans laquelle ils ont évolué, ils n’ont d’autre choix que de faire face aujourd’hui à la fin de ce monde.
Arrivant à la fin de mes études, j’aurais très bien pu rejoindre ce monde capitaliste que j’avais eu l’occasion de côtoyer. J’aurais pu sans difficulté accepter un poste qui me donnerait accès à tous les privilèges du polytechnicien : l’argent, le pouvoir, le prestige… J’aurais pu croire à ces promesses de RSE et de croissance verte. J’aurais pu croire que j’allais changer les choses de l’intérieur… avant que ce ne soit le système qui change mon intérieur. Je souhaite bon courage à ceux qui tentent cette voie, mais personnellement, je ne souhaitais pas, je ne souhaite pas faire ce choix et être un pion utile du système.
J’ai donc décidé de vivre une année où je pourrais mettre en acte mes convictions écologiques, de manière concrète. J’ai choisi de ralentir, prendre du recul sur ce monde et sur mon futur, méditer, contempler, réfléchir. Je suis parti m’installer dans une abbaye pour suivre une année de formation théologique. Et je suis très heureux d’avoir pris ce temps d’arrêt.
Je sors de cette année plus convaincu que jamais qu’il va nous falloir innover. Non pas à la manière des greentech ou d’autres technologies que le capitalisme et ses startups qualifient de vertes, mais innover dans notre manière de vivre. Nous allons devoir quitter nos fantasmes sur la technique comme unique et magique source de notre salut face aux périls écologiques. Pour au contraire oser construire un nouveau mode de vie autour de nous. Sortir de cet individualisme, de ce consumérisme, de cette course au toujours plus, pour oser le partage, la sobriété, la lenteur.
Je suis sorti de cette année convaincu que si nous voulons changer les choses, nous ne pouvons pas nous permettre de rester entre nous, diplômés de grandes écoles, avec notre vision de technocrates que nous voulons imposer à la population. Nous vivons dans une bulle. 20% des adultes en France ont un diplôme supérieur à un BAC+2. Quelle est la part des diplômés dans notre entourage ? 95% ? 99% ? Je ne souhaite plus faire partie de cet entre-soi.
Je crois enfin que nous allons devoir sortir de la voie du rationalisme exacerbé dans laquelle nous excellons. Nous ne pourrons pas appréhender correctement les transformations à venir si nous restons au stade des idées, si nous voyons le monde à travers des chiffres et des rapports. Nous devons incarner ces changements et écouter notre cœur. Nous devons suivre ce qu’on a dans les tripes, explorer des chemins spirituels et accueillir nos émotions. Exprimer nos peurs, nos doutes, nos désespoirs. Lutter dans la joie et dans l’espérance.
Pour toutes ces raisons, j’ai décidé que je quitterai ces mégapoles mondialisées où l’individualisme et l’indifférence côtoient pauvreté et pollution, pour m’installer dans un territoire à taille humaine. J’ai le projet de vivre dans un collectif engagé auprès des délaissés du système, des personnes exilées, des personnes en situation de handicap ou des personnes âgées. Nous tenterons d’expérimenter le partage et la sobriété, l’accueil et la relation. En parallèle de notre vie ensemble, on pourrait garder notre engagement dans la société. Nous nous investirons dans des associations, les services publics et l’économie locale. Certains feront de la recherche, d’autres de la politique ou encore de l’agriculture.
Cela demandera quelques sacrifices mais je suis persuadé que cette vie nous rendra plus heureux, et qu’elle nous permettra de nous engager en cohérence, en bâtissant la société de demain. Quand on ose poser un regard lucide sur le péril climatique et la fracture sociale en cours, on ne peut que prendre des risques. Le pire serait de continuer comme si de rien n’était.