Économie criculaire, économie collaborative

En 2018, la France a adopté une feuille de route pour l’économie circulaire. En parallèle, les plateformes de l’économie collaborative connaissent un véritable essor. Quelles activités se cachent derrière ces notions? Répondent-elles vraiment comme elles le prétendent aux enjeux modernes?

Introduction
Économie circulaire et collaborative sont des sujets d’actualité. On leur attribue la capacité de préserver la planète, tout en maintenant notre niveau de vie. Ces deux modèles ont un point commun, puisqu’ils ambitionnent de diminuer la consommation -en favorisant le réemploi et le recyclage pour l’économie circulaire, en promouvant le partage et la mutualisation pour l’économie collaborative.

Prenons l’exemple d’une perceuse, un outil utilisé seulement dix minutes en moyenne au cours de sa vie. D’autres exemples dans “Économie de la décroissance” de Timothée Parrique.
Grâce à l’économie collaborative, cette perceuse pourrait bénéficier à d’autres personnes hormis son propriétaire et donc servir davantabge. Puis, lorsqu’elle commencerait à montrer des signes de faiblesse, l’économie circulaire permettrait soit de la réparer, soit de la recycler entièrement afin de réutiliser les matériaux qui la composent (plastique, acier, lithium, …).

lien vers l’article (Flair lol)

Cette forme d’économie pourrait induire un cercle vertueux. En effet, si un bien est destiné à être “loué” plutôt que vendu, il pourrait être dans l’intérêt du fabricant de maximiser sa durée de vie (et ainsi constituer une motivation inverse à celle de l’obsolescence programmée ), de façon à minimiser les coûts.

Si le principe est louable, il pose également certains problèmes à l’échelle macroéconomique, du point de vue caduc des économistes (neo)classiques.
En effet, dans leur “logiciel” désuet, une baisse de la production, bien que favorable à l’environnement, se traduirait “forcément” par une hausse du chômage*. Un chômage en hausse conduirait l’État à verser davantage de “revenus de transfert” et donc à augmenter les impôts ou à accroître la dette. On assisterait également à une progression des inégalités entre les “propriétaires” et les “utilisateurs”.

* cette affirmation ignore qu’une baisse de la production par une baisse de l’utilisation d’énergie implique une augmentation de main d’oeuvre pour remplacer les machines en moins grand nombre. En réalité, il y a une moindre utilisation d’énergie (fossile) à production “constante”. Timothée Parrique explique que la taille de l’économie peut continuer à croître (et donc les ressources humaines nécéssaires pour la faire fonctionner) tout en s’accompagnant d’une décrue de l’utilisation d’énergie (et de la taille de la sphère marchande, mesurée par le PIB)

Le recyclage au coeur de l’économie circulaire
Le terme d’”économie circulaire ” est employé pour la première fois en 1989, soit deux ans après la publiction du rapport Brundtland qui a institué la notion de “développement durable ” et servi de base au Sommet de la Terre de Rio.

Diagramme de Venn du développement durable, à l’intersection de trois préoccupations, dites « les trois piliers du développement durable ».


Deux économistes de l’environnement, David W. Pearce et R. Kerry Turner , en sont à l’origine. L’économie circulaire vise à produire des bien et des sevices durables en limitant la consommation, le gaspillage des ressources et la production de déchets. Elle s’oppose donc à l’”économie linéaire “, qui fut à l’origine de la croissance des Trente glorieuses et donc le schéma “extraire – produire – consommer – jeter” caractérise toujours le mode de vie occidental.

Cycle de vie d’un produit, faisant apparaître l’économie circulaire

Mais il faut rester vigilant, car le recyclage fait partie du lexique du greenwashing, pour cacher ce qui reste une économie linéaire. On sait que des marchandises “usagées” finissent dans des décharges en Afrique ou en Asie, et que le recyclage ne permet jamais de recycler 100% des matières, comme l’illustre abondamment Philippe Bihouix dans “L’âge des low-tech – vers une civilisation techniquement soutenable“. Et que la voie de la “valorisation énergétique ” est comparable, en terme d’émissions de GES, à la combustion d’énergie fossile.

Lien vers l’article TV5 Monde

Exemple avec le soit-disant “recyclage” de cartons français qui terminent en réalité sur un autre continent :

lien vers la vidéo d’Hugo Clément

Afin de favoriser l’économie circulaire, la France a adopté en 2018 une feuille de route qui prévoit notamment le recyclage de la totalité des déchets en plastique d’ici 2025. À ce jour et selon les données d’Eurostat (l’organisme chargé de l’information statistique à l’échelle européenne), la France recyclerait 55% de ses déchêts. 10% seraient utilisés comme matériaux de remblai, 5% permettraient de produire de l’énergie grâce à l’incinération et près de 30% seraient enfouis ou entreposés dans des décharges.

La feuille de route française propose de “viser à l’objectif de collecter 100% des déchets recyclables”, ce qui n’implique ni de les recycler, ni de concerner une majorité des déchets.

Il est important de ne pas confondre “économie circulaire” et “croissance durable” ou “croissance verte”, qui est proche d’un oxymore.
En effet, tous les économistes ne partagent pas l’idée selon laquelle la croissance serait compatible avec la préservation des ressources de la planète. De fait, il existe une forte corrélation entre le niveau du produit intérieur brut (PIB) et celui des émissions de dioxyde de carbone. Il a été démontré, chez les pays émergents, qu’une hausse du PIB par habitant de 3000 dollars se traduisait par une progression des émissions de CO2 d’une tonne par habitant.

À l’inverse, l’agroéconomiste Lester R. Brown juge possible d’aboutir à une croissance durable en conjuguant meilleure gestion des déchets, utilisation d’énergies renouvelables et reconstitution des forêts mondiales.
Toutefois, aucun chiffre ne permet d’étayer ce point de vue. Dans la réalité, les entreprises continuent à avoir recours à des techniques de marketing mensongères (“greenwashing “) et de vente peu écologiques telles que le “freebie marketing “.
Ce procédé, inventé par le fabricant de rasoirs Gillette , consiste à proposer un produit à un prix relativement modique afin de séduire un maximum de consommateurs.. Ces derniers sont ensuite contraints d’acheter des recharges pour que le produit continue à fonctionner. Le problème étant que ces recharges (lames de rasoir, cartouches d’imprimantes, capsules de café) deviennent autant de déchets qui ne sont pas forcément recyclés!

L’utopie consiste à croire que la croissance de la production peut encore apporter le mieux-être et qu’elle est matériellement possible.” André Gorz

En définitive, on peut se demander si la question du traitement des déchets n’est pas un moyen, pour la gouvernance européenne et les États, d’éluder de véritables causes – c’est-à-dire la surproduction de biens et la multiplication des échanges internationaux. Rappelons que si chaque habitant du monde vivait comme un Belge, il faudrait ~3-4 planètes pour satisfaire l’ensemble des besoins.

Économie collaborative et ubérisation
Autre terme à la mode, l’”économie collaborative ” repose sur une mutualisation des ressources qui s’opère le plus souvent aujourd’hui par l’intermédiaire de plateformes Internet. On l’appelle également “économie du partage”, mais ce terme est-il vraiment approprié?
Oui, si l’on considère le fait qu’elle permet de satisfaire des besoins sans hausse de la production. Grâce à elle, il est désormais possible de faire usage d’un bien sans le posséder.

Pour autant, “partage” ne signifie pas “gratuité”. S’il veut faire usage d’un bien, l’utilisateur doit rémunérer le propriétaire de ce bien, de même que la plateforme qui les met en relation. Ainsi, l’entreprise Airbnb a réalisé en 2017 un chiffre d’affaire de 2,6 milliards de dollars, mais offre pourtant le même service qu’une plateforme comme AlloVoisins ou qu’une SEL (Système d’échange local , éventuellement avec une monnaie fictive) qui met gratuitement “offrerus” et “demandeurs” en relation, hors de la sphère marchande.

Le principe d’un SEL

À Paris, ce sont 65 000 logements qui peuvent être loués sur la plateforme. Même si la durée de location a été plafonnée à 120 jours par an, les propriétaires y trouvent leur compte, car la location touristique est plus rémunératrice que la location traditionnelle, d’autant qu’ils conservent la jouissance de leur bien le reste du temps.
En revanche, ce procédé contribue à dégrader un peu plus le marché immobilier pour les habitants. Il génère également une concurrence que les professionnels de l’hôtellerie qualifient de “déloyale”, puisque, à l’inverse des propriétaires qui louent sur Airbnb, eux doivent payer des salaires et sont redevables de la TVA.

Dans le domaine des transports, les géants de l’économie collaborative s’appellent BlaBlaCar ou Uber . L’une des critiques que l’on adresse souvent à BlaBlaCar tient au fait que cette entreprise a bâti son succès sur la monétisation d’une pratique auparavant gratuite : l’auto-stop.
Cette économie collaborative-là est donc une forme d’élargissement de la valeur économique à de nouvelles valeurs d’usage, de “colonisation” par le capital de nouvelles zones de la sphère non-marchande.
(La prolongation “extrême” mais “naturelle” : devoir rémunérer le capital pour toutes les valeurs d’usage)

Le groupe Uber essuie, quant à lui, de nombreux procès pour concurrence déloyale et travail dissimulé. Son nom a même donné naissance à un néologisme, l’”ubérisation “. Ce terme désigne aujourd’hui les activités qui permettent, grâce à la technologie, une mise ne relation directe et rapide entre fournisseur et utilisateur et qui donnent lieu à une prestation bon marché.

Si l’on se réfère aux thèses de Schumpeter, l’ubérisation constitue une innovation. Elle s’apparente à un nouveau mode d’organisation, à la fois en termes de consommation et de travail. Mais peut-on vraiment parler de progrès ou de développement? Sur le plan social, rien n’est moins sûr. En la matière, l’ubérisation crée des emplois précaires et fait supporter aux travailleurs le coût du capital.
En effet, les chauffeurs Uber doivent acheter leur véhicule et celui-ci doit répondre aux exigences imposées par la plateforme. Sur le plan économique, l’ubérisation se caractérise par des revenus moindres -donc une baisse de la consommation à l’échelle macroéconomique. Pour l’État, l’ubérisation se traduit par moins de revenus fiscaux. En effet, Airbnb et Uber pratiquent l’optimisation fiscale et s’acquittent donc d’un impôt réduit au strict minimum.

« Uber Files » : révélations sur le deal secret entre Uber et Emmanuel Macron à Bercy
(lien vers l’article du Monde)

Quid de la décroissance?
Et si, au fond, économie circulaire et économie collaborative constituaient un moyen de parler de décroissance sans avoir à la nommer?
La décroissance fait peur, à juste titre. Elle impliquerait un changement radical de paradigme économique – celui qui carctérise nos sociétés depuis plus de deux siècles. Certes, dans l’inconscient collectif, la croissance économique demeure associée au confort matériel et à la qualité de vie. Mais doit-on préférer l’abondance matérielle à la préservation de la planète?

Apocalypse de la croissance


Les scientifiques ont démontré que depuis 1970, les émissions annuelles de CO2 sont supérieures à ce que la planète est capable d’absorber (cfr cycle du carbone et forçage radiatif). En conséquence, si les activités humaines demeurent telles quelles, le réchauffement climatique se poursuivra au cours du 21ème siècle pour aboutir à une hausse des températures de 3 à 5°c. Ce n’est pas uniquement un problème d’écologie. Un tel réchauffement générerait d’importants phénomènes, susceptibles de bouleverser le modèle social des pays riches.
Les plus pessimistes vont même jusqu’à envisager des guerres, voire l’extinction pure et simple de l’espèce humaine.

Le communisme a échoué parce qu’il ne pouvait accepter la réalité économique. Le capitalisme connaîtra le même sort s’il continue à nier la réalité écologique.” Lester R. Brown

La décroissance devrait en premier lieu être adoptée par les pays développés (pays de l’annexe I), car ce sont eux qui ont le plus contribué au réchauffement. Elle se caractériserait par une baisse de la production et de la consommation et donc un niveau de vie plus frugal. Elle impliquerait surtout un changement de culture et de valeurs. L’être humain devra trouver le sens de l’existence ailleurs que dans le travail, la course aux profits et la consommation.

Résumé:

Exemples de politiques de décroissance avec Timothée Parrique.

Largement retranscrit du hors-série de Science & savoirs “Les bases de l’économie”

Des remarques, corrections, compléments à apporter à cette page? Venez en discuter sur ce post sur le groupe Facebook Namur politique


💰 Revenir au portail économie