Les coûts de transaction
En 1937, l’article de Ronald Coase, La Nature de la firme, passe complètement inaperçu dans le monde de la pensée économique. Pourtant, son auteur se verra attribuer le prix Nobel en 1991 pour sa théorie novatrice sur les “coûts de transactions.
Introduction
Aux 18ème et 19ème siècles, la pensée économique demeure l’apanage des économistes classiques, représentés par des figures importantes telles qu’Adam Smith ⭎ ou David Ricardo ⭎. Ces économistes sont favorables au libre-échange et considèrent que le marché doit jouer un rôle prépondérant dans la régulation de l’économie.
Le courant keynésien apparaît plus tard, dans l’entre-deux-guerres. C’est également à cette période que Ronald Coase ⭎, jeune économiste britannique de 27 ans, publie un article intitulé “La Nature de la firme“. Dans ce texte plutôt court, dénué d’équations mathématiques, l’auteur tente de répondre à la question suivante : pourquoi existe-t-il des entreprises?
Pour comprendre cette question un rien iconoclaste, il faut se placer dans le contexte de l’époque. La seconde révolution industrielle ⭎ a eu lieu et ce sont de véritables empires industriels qui voient le jour en l’espace de quelques décénnies : Vereinigte Stahlwerke ⭎, IG Farben ⭎ et Siemens ⭎ en Allemagne; Unilever ⭎ et Imperial Chemical Industries ⭎ au Royaume-Uni; General Motors ⭎ et General Electrics ⭎ au États-Unis.
Pour quelle raison les entreprises ont-elles besoin de croître à ce point? La thèse développée par Coase est la suivante : l’organisation et la hiérarchie propres à l’entreprise constitueraient un mode de coordination alternatif au marché.
Définition des coûts de transaction
Le marché est le lieu de rencontre entre l’offre et la demande. Il met donc en relation des acheteurs et des vendeurs qui s’échangent des biens et des services. Mais dans la réalité, ces biens et services ne se présentent pas d’eux-mêmes à leur futur acquéreur. Celui-ci doit au préalable se renseigner, effectuer des comparaisons, étudier les prix, négocier, formaliser un contrat, etc.
Pour désigner ces opérations coûteuses en temps ou en argent, Coase emploie le terme de “coûts de transaction ⭎“. Il observe qu’à force d’errer sur le marché, les agents économiques peuvent être tentés de se débrouiller seuls, en réalisant eux-mêmes la production du bien ou du service dont ils ont besoin. Selon l’économiste, c’est même ce comportement qui préside au développement des entreprises.
On considère donc que les “coûts de transaction” sont les coûts qu’implique une transaction au-delà du prix d’achat ou de vente d’un bien ou d’un service.
Coase distingue plusieurs catégories de coûts de transaction:
– Les coûts de recherche et d’annonce, qui résultent de la mise en relation des offreurs et des demandeurs.
– Les coûts d’information sur les spécifications du produit, qui sont d’autant plus élevés s’il s’agit d’un produit technologique ou d’une nouveauté.
– Les coûts de négociation sur le prix, en fonction de la durée du contrat, du colume de la transaction, du mode de paiement (comptant ou à crédit), etc.
– Les coûts de rédaction des contrats, qui peuvent impliquer des honoraires d’avocat.
– Les coûts de contrôle de l’excécution, qui résultent des efforts mis en oeuvre pour vérifier la conformité de la production. Par exemple, certaines entreprises qui recourent à de la sous-traitance diligentent des audits pour s’assurer du respect de la qualité, des procédures, des réglementations, etc.
Si les coûts de transaction s’avèrent trop importants, l’acheteur (le demandeur) aura plutôt intérêt à créer ou à internaliser l’activité. Il préférera “faire” plutôt que “faire faire”. En conséquence, l’acheteur se détournera du marché, trop peu efficace. Cest dans cette mesure que Coase considère que l’entreprise représente un mode de coordination alternatif au marché.
De nombreux phénomènes ont pu être expliqués grâce à cette théorie. Citons, tout d’abord, la formation de grandes entreprises, nationales ou multinationales. Certains considèrent également que cette théorie permet d’expliquer la création d’un contrat de travail stable (le CDI). En effet, ce type de contrats, en stabilisant les relations professionnelles, permet à l’employeur de produire en interne et de façon continue ce dont il a besoin.
Les déterminants des coûts de transaction
Oliver E. Williamson ⭎ est un économiste américain né en 1932, c’est-à-dire quelques années seulement avant la publication de “La Nature de la firme”. Membre du courant néo-institutionnaliste ⭎ fondé par Coase, il s’intéresse de près aux coûts de transaction. Ses contributions à cette théorie lui vaudront l’attribution du prix Nobel en 2009.
Les apports de Williamson à la théorie de Coase résident principalement dans l’identification de ce que l’on appelle les “déterminants” des coûts de transaction ⭎. Les “déterminants” ne sont autres que les causes à l’origine des coûts de transaction. Williamson recense 3 déterminants qui font qu’un agent préférera recourir au marché ou, à l’inverse, produire lui-même le bien ou le service dont il a besoin.
- Le premier déterminant est le degré d’incertitude.
Cette incertitude est liée au comportement des agents sur le marché. En effet, comme Herbet Simon, Williamson estime que les agents sont dotés d’une rationalité limitée. Autrement dit, ils sont incapables de traiter une information, de toute façon imparfaite. En conséquence, ils ne peuvent pas opérer un choix éclairé. Par ailleurs, Williamson considère que les agents sont opportunistes. Ils se livrent au mensonge, à la tromperie et sont également contraints de prévenir ce type de comportement chez les autres agents impliqués dans la transaction. - Le second déterminant concerne la spécificité des actifs.
Par “actifs spécialisés”, Williamson désigne les produits ou services qui nécéssitent des investissements durables et qui ne pourront pas être redéployés sans perte de valeur productive en cas d’interruption ou d’achèvement de contrat. Lorsque les actifs sont spécialisés, un offreur pourra refuser la transaction (car celle-ci impliquerait qu’il réalise d’importants investissements pour un seul client, donc qu’il soit prêt à assumer le risque financier lié au contrat). De même, un demandeur pourra trouver plus judicieux de réaliser cette production en interne. - Le troisième déterminant est celui de la fréquence des transactions.
En effet, la récurrence ou, au contraire, le caractère occasionnel des transactions, joue un rôle significatif dans le choix de recourir au marché ou d’intégrer la production.
Les formes “hybrides” de gouvernance
Outre son apport sur les déterminants des coûts, Williamson introduit le concept de “gouvernance hybride”, c’est-à-dire une coordination qui repose à la fois sur l’entreprise et sur le marché.
“L’intégration verticale est une réponse organisationnelle aux difficultés contractuelles que l’on rencontre sur les marchés de produits intermédiaires (…).” Oliver E. Williamson
Pour illustrer ce concept, on peut citer, par exemple, les systèmes de concession ⭎ ou de franchise ⭎. L’entreprise passe par le marché pour identifier un partenaire, à qui elle propose d’exploiter sa marque. Le partenaire bénéficie d’un certain nombre de services en échange d’une contribution financière. De tels dispositifs permettent aux enseignes de l’automobile, de la grande distribution et de la restauration rapide de renforcer leur présence commerciale sans avoir à assumer l’intégralité des risques liés à l’ouverture d’un nouveau point de vente.
Les systèmes de concession ou de franchise contribuent donc à réduire l’incertitude qui est le propre du marché, sans représenter pour autant une solution totalement intégrée.
Il en va de même pour le dispositif de joint-venture ⭎ (co-entreprise), qui permet à deux entreprises ou plus de s’associer, donc de partager les risques liés aux investissements et de mutualiser les coûts d’exploitation. Pendant plus de vingt ans, les sociétés Ammann ⭎ (Suisse) et Yanmar ⭎ (Japon) ont utilisé un système de joint-venture pour produire des modèles spécifiques d’engins de chantier destinés au marché européen.
À l’origine, la société nippone construisait des engins, mais ne disposait pas d’un réseau pour les distribuer en Europe, tandis que la société suisse pouvait s’appuyer sur un réseau, mais ne proposait pas ce type d’équipements dans son catalogue.

Largement retranscrit du hors-série de Science & savoirs “Les bases de l’économie”
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